2/ Brody (1)

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— On a rdv, lui précisé-je en soupirant.

La chance de ma vie...

Bien sûr...

On dit que la première impression est souvent la bonne. Si j'en crois la mienne, c'est plutôt mal barré. Jamais je ne pourrais travailler avec elle !

La chanteuse se retourne, l'air perdue. Elle fait quelques pas vers moi, avec une grâce intemporelle, comme si elle flottait sur le sol, tandis que son chien de garde se crispe. Ses yeux perçants se posent alors sur moi. Le surplus de maquillage qui orne ses paupières la rend bien plus âgée que ses vingt-et-un printemps, mais malgré le travail des maquilleurs, je peux distinguer ses traits tirés et les cernes violacés qui grignotent son joli minois.

J'ajoute, avec une sensation étrange de gêne, comme si je devais me justifier :

— C'est Hank Stofield qui m'envoie.

Une lueur de lucidité parcourt alors son regard transparent. L'éclat qui le traverse subitement mêle à la fois intérêt, indifférence, épuisement et... un soupçon de désespoir que je ne suis pas sûr d'interpréter correctement.

— Brody Clarks ? Le parolier ?

J'acquiesce, incertain de l'attitude à adopter. Désormais face à elle, j'ai tout loisir de la détailler. Elle est jolie, très jolie, peut-être aussi trop sexy dans cet accoutrement outrageux, mais plus qu'attirante. Je ne peux empêcher mon regard de parcourir ses formes parfaites : ses jambes interminables sont mises en valeur par une mini jupe qui tient plus d'un bandeau pour cheveux que d'un vêtement à proprement parlé, mais qui fait indubitablement s'accélérer les battements dans ma poitrine. Et ceux plus bas. Sa taille de guêpe est contrebalancée par une poitrine plutôt généreuse – je me demande un instant si ce sont ses vrais seins, avant de me recentrer sur son visage aux traits délicats : elle ressemble à une poupée chiffonnée, avec ses grands yeux tristes indéchiffrables qui s'étirent en amande malgré les deux billes bleutées au centre. Pourtant, l'intérêt que je croyais lire dans son regard a cédé la place au vide intersidéral décelé sur les écrans géants au concert. Elle me regarde, sans vraiment me voir. Elle est là, sans être là. Un sourire prend naissance à la commissure de ses lèvres mais son visage reste sans expression, éteint.

— Marcus ne m'avait pas dit que tu étais si jeune. Viens avec moi, je n'ai que dix minutes à t'accorder, ajoute-t-elle d'une voix fatiguée.

Jeune ? ne puis-je m'empêcher de répéter en levant les yeux au ciel.

J'hésite à lui signifier que j'ai deux ans de plus qu'elle...

Mais finalement, je la suis dans sa loge impersonnelle, pire encore que celle où je suis passé cet après-midi. La seule touche humaine réside en la profusion de cadeaux de fans, amoncelés sur la petite table basse, et quelques fleurs – sans doute également offertes – éparpillées ça et là. Mon regard bifurque furtivement vers le mur : pas même une guitare n'y est accrochée.

Pas plus mal au final...

River se poste dos face à moi devant le miroir et se démaquille grossièrement. Je me sens comme un intrus, sans trop savoir comment réagir. Le calme, après l'effervescence du concert, devient pesant. Mes yeux croisent son reflet sans qu'elle s'en aperçoive, et j'ai tout loisir de la contempler. Ses traits se sont relâchés, son sourire de façade s'est fracassé contre la vitre qui lui fait face. Inéluctablement, je retrouve la profonde tristesse qui hante ses iris où je me noie l'espace d'un instant. Puis je secoue la tête devant ma psychanalyse à deux balles et chasse ces pensées de mon esprit lorsqu'elle se tourne vers moi. Je suis ici dans un but précis, et le côté sexy de la chanteuse doublé de son regard envoûtant ne doivent pas me faire dévier de ma route !

Un nouveau sourire est incrusté sur ses lèvres aux traits finement délicats. Je ne peux m'empêcher de songer qu'elle est bien plus jolie encore au naturel, et qu'elle semble moins superficielle. Semble du moins...

Elle attrape un tas d'habits sur la chaise :

Je me change, j'en ai pour cinq minutes, désolée.

Donc j'imagine qu'il ne te restera plus que cinq minutes à m'accorder... bougonné-je, toujours aussi mal à l'aise.

J'ignore d'où vient mon ton agressif et condescendant, pas vraiment mon genre. River passe la tête par la porte de la minuscule salle de bain, laissant subtilement une épaule dénudée s'agiter devant ma vue. Son teint d'albâtre me donne envie de tester la douceur de sa peau, et j'en suis le premier surpris. Non pas que je la pensais repoussante, mais ce n'est pas du tout le type de femme qui m'attire habituellement, le genre princesse à qui la vie a un peu trop souri mais qui ne s'en rend pas compte... Même mes coups d'un soir je les choisis mieux que ça. D'autant que les femmes qui traversent mon lit ne sont QUE des coups d'un soir.

Sers-toi à boire dans le frigo et je t'accorderai tes dix minutes, lance-t-elle avec cette fois un éclat de malice dans le regard.

Tu veux quelque chose ?

Puis je me remémore l'article que j'ai lu à son sujet il y a à peine quelques heures et je soupire devant ma maladresse. Ce n'est peut être pas la meilleure idée que j'ai eu...

Une bière, répond-elle en sortant.

La chanteuse se trouve désormais vêtue d'un simple jean délavé et d'un top noir moulant qui, étrangement, est bien plus attirant que la tenue scandaleuse qu'elle portait durant le concert.

Hank ne tarie pas d'éloges sur toi, enchaine-t-elle devant mon silence.

Mon cœur se gonfle d'orgueil. J'ai fait bonne impression sur le gars le plus en vogue dans le milieu de la musique. Je n'en suis pas peu flatté, même si j'ignore encore ce que je fous ici avec elle, et encore plus ce que je pourrais bien lui apporter !

Je suis ravi d'avoir su retenir son attention !

— OK. Voyons ce qui t'amène.

Je tique devant sa voix désabusée, et mon assurance s'envole. Malgré mon ressenti sur cette nana, je ne dois pas oublier qu'elle peut m'aider à toucher mon rêve du doigt. Alors je prends sur moi.

— C'est juste... un premier jet. Exercice difficile quand on ne connait pas du tout la personne.

Un bruyant soupir s'échappe d'entre mes lèvres, j'ai désormais envie d'en finir le plus rapidement possible. Parce que pour être honnête, je sais que la chanson est quelconque, certainement parce que je la considère comme étant quelconque elle aussi... Ces premiers mots résultent d'un manque cruel d'inspiration.

River lit en silence, fronce les sourcils, puis arrime son regard dans le mien. Je suis littéralement suspendu à ses lèvres. Et la chute n'en est que plus rude.

— Waahhh. C'est ça l'enfant prodige de Hank ? ironise-t-elle avec dédain.

***

Coucou !  Ça y est, on commence les festivités !  Niveau caractère incompatible, on est bien partis 😁

Alors, qu'en pensez vous ?

Inflamed (Sous Contrat Chez Addictives)Where stories live. Discover now