6/ Brody (1)

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Je suis crevé, je n'arrive plus à rien. Je chiffonne un brouillon et l'envoie valser à l'autre bout de la pièce. J'essaie de me convaincre que le doute fait partie de la vie mais merde, je stresse à mort !

Mes yeux se posent sur une photo accrochée au-dessus de la télé. Tess... Elle est tout pour moi. Je me rapproche de l'image et la caresse du bout des doigts. Son sourire éclatant, ses grands yeux rongés par une part de tristesse impossible à évincer. Je me souviens parfaitement de la scène. C'était la fin de l'été, Tess venait d'avoir quatorze ans, moi j'en avais dix-neuf. Après l'année de galère qui a suivi le décès de notre mère, j'ai laissé tomber mes études, sans regrets. Les études n'avaient jamais été ma priorité, et de toute manière, il aurait été utopique d'imaginer que je puisse un jour me les payer. J'avais travaillé tout l'été pour acheter à ma sœur un cadeau qui lui rendrait son doux sourire, celui que je n'entrevoyais plus depuis des lustres. J'avais ce désir viscéral de la rendre heureuse, ne serait-ce qu'un bref instant, alors pour son anniversaire, j'avais réussi à lui offrir un petit bout de paradis : elle avait toujours rêvé de nager avec les dauphins. Une pure folie ! Après cette escapade, j'avais dû redoubler d'effort pour payer le loyer, et encore plus pour qu'elle mange à sa faim...

— Tu devrais dormir un peu, Brody.

Quand on parle du loup...

Je m'installe dans le canapé et la regarde engloutir quelques céréales en baillant. À midi, elle est encore en pyjama. Elle a bossé tard au bar de Connor hier soir, et puis elle est en vacances alors je la laisse faire. Mais ça m'en coûte, parce qu'elle a pris ce job pour m'aider financièrement. J'avoue que si son patron n'était pas Connor, je ne l'y autoriserais pas. Du moins j'essaie de me convaincre que mon avis l'influencerait...

Elle vient se blottir contre moi dans le canapé et je l'enlace, attendri.

— J'ai presque terminé.

— Et je suis sûre que c'est génial ! Je sais que ça te tient à cœur, et elle va adorer. Il ne peut en être autrement, tu es le meilleur !

— Tu ne la connais pas, elle est coriace, soupiré-je.

Je n'ai pas dormi depuis deux nuits, mes yeux me brulent d'avoir trop veillé. Mais j'ai besoin d'un coup de pouce du destin. J'y ai droit, merde ! Après tout ce qu'on a traversé ! Et si pour ça je dois supporter une petite star suicidaire, alors je ferai un effort !

— Elle avait l'air plutôt cool moi je trouve. J'ai pas osé lui demander un autographe, peut-être que j'aurais l'occasion de la recroiser ?

Je grimace, je n'ai pas envie de voir Tess jouer les groupies face à River.

— On verra ça plus tard !

— Ne fais pas ton rabat-joie !

Elle m'embrasse la joue et s'esquive sous la douche. Dans moins d'une semaine, elle sera de retour sur son campus, et l'appartement redeviendra ce lieu morne et sans vie...

Je continue la partition durant de longues heures et teste la mélodie un nombre incalculable de fois. Puis j'attrape mon téléphone avec nervosité :

Moi : J'ai fini...

Y a-t-il autre chose à ajouter ? Même si j'angoisse, même si la chanteuse détient mon avenir entre ses doigts, je ne suis pas mécontent de mon travail. Sans être fasciné par elle, je dois avouer qu'à mes yeux, elle n'est désormais plus transparente, elle est humaine, vivante... Et les mots se sont couchés sur le papier spontanément, comme les notes.

River : Tu passes au studio? J'y suis en ce moment.

Moi : Maintenant ? Devant tout le monde?

River: Il va falloir t'y habituer...

Ça ne me plait pas beaucoup, mais je ne peux pas me permettre de faire le difficile...

Lorsque je pénètre dans le studio d'enregistrement, mon cœur palpite, une joie inexplicable se fourre au creux de mon ventre. Elle est là ma place, et je ne compte pas me louper cette fois ! Je range mes préjugés de la première heure quand se dessine au bout du couloir le profil de River. Adossée contre le mur, les paupières closes, elle a l'air presque paisible. Et terriblement attirante. Entre notre animosité et l'attraction que je ressens, je sens que la collaboration risque d'être compliquée...

Hank m'aperçoit et se dirige vers moi le premier. Je suis soulagé de constater qu'il n'y a personne d'autre que moi.

— Ravi de te revoir, petit ! On va t'écouter, ajoute-t-il alors que River nous rejoint, puis on discutera dans mon bureau.

La chanteuse m'adresse un léger sourire fatigué en guise de bienvenue.

— OK, on y est. Tu veux la jouer à la guitare ? demande-t-elle en se servant un verre d'eau.

Mes yeux parcourent la pièce pour se poser sur l'instrument de musique. Ma bouche s'assèche. Un piano voix sera le plus adapté. Il faut juste que mes putain de doigts arrêtent de trembler.

— Non. Piano.

— D'accord. Je l'ai plus ou moins apprise, débute-t-elle, comme mal à l'aise. Commence par la chanter comme tu la vois, et on avisera après, si je peux faire un essai.

Je suis flattée qu'elle la connaisse déjà, c'est de bon augure, non ? Reste à convaincre Hank aussi.

Je hoche la tête et commence à jouer la mélodie au piano. Ma voix est incapable de reproduire les nuances de celle de River, mais je fredonne plus ou moins ce que j'ai en tête pour elle. Je la guiderai par la suite. Durant la chanson, j'essaie de faire abstraction de leurs messes basses et de leurs échanges de regards. J'ai chaud, mes mains sont moites et j'ose à peine respirer.

Pitié, pourvu que ça marche...

À la fin de ma prestation, le silence nous enveloppe. Je me tourne vers eux, rempli d'un espoir qu'il serait si facile de piétiner.

— Vous me stressez. Je n'ai pas ta voix, il y a des améliorations à faire, des endroits où tu peux monter plus haut et...

— C'était très bien, petit !

Hank se relève sans un mot de plus et se dirige vers une petite pièce attenante que j'imagine être un bureau. Les studios Stofield, c'est son bébé, sa maison. Je le suis du regard sans réaction.

— Ne stresse pas, ça s'est bien passé. Viens.

Elle me précède dans le bureau, où l'atmosphère est plus que particulière. La pièce à la fois aseptisée et clinquante par ses couleurs ahurissantes – le noir et le orange prononcé – est rangée méticuleusement. Chaque objet est aligné, tout est trop en ordre, comme si personne n'avait jamais travaillé ici. Il faut dire que le personnage est à la hauteur de sa réputation. Hank Stofield en impose : figure emblématique du petit écran dans les années quatre vingt, sa notoriété lui a permis de se reconvertir dans la musique. Et quand je le vois à côté de River, la comparaison est détonante : aussi grand et carré que River est menue et frêle, il a un charisme qui défraye la chronique. Mais surtout, ce qui m'a toujours impressionné, c'est son extravagance. Il a la réputation d'être imprévisible, et dans le travail, et dans la vie privée, d'où mon anxiété aujourd'hui.

— Asseyez-vous, je suis à vous dans deux minutes.

***

Coucou !

Je suis revenue de vacances alors nouveau chapitre ! Cette fois, on se retrouve dans la tête de Brody <3

Bonne fin de semaine !

Bisous

Inflamed (Sous Contrat Chez Addictives)Where stories live. Discover now