3/ Brody (1)

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Dans mon crâne, c'est le blackout, le trou noir, l'effondrement, tout... et surtout, en une seule vague, dévastatrice. Je ne gère pas ce genre de truc moi, hors de question. Je ne sais pas faire. Heureusement, ma panique cède, l'urgence de la situation me bouscule, me gifle en pleine face. Je ne réfléchis plus et attrape la chanteuse pour la secouer, d'abord doucement, puis de façon plus brutale lorsque je constate son absence de réaction.

— Les boites étaient pleines ?

Mon ton est lugubre, mais au moins, j'ai repris possession de mon esprit. Elle pose sur moi un regard absent, avant de hocher la tête et de fermer les yeux.

— Ohh non non non ! Ne t'endors pas ! Je te l'interdis ! m'écrié-je en lui tapotant les joues.

Vingt minutes. Juste vingt malheureuses minutes. Il est impossible que son organisme ait assimilé la totalité des comprimés ! Je la saisis sous les épaules et la traine vers les toilettes, alors qu'elle marmonne des paroles incompréhensibles et laisse s'échapper des gémissements terrifiants. Je prends appui sur le carrelage froid et inspire profondément. Puis je la redresse, lui bascule la tête au dessus de la cuvette, et enfonce deux doigts dans le fond de sa gorge pour la faire vomir. Je dois m'y reprendre à deux fois devant sa ténacité à me repousser, alors qu'elle était inerte à peine quelques minutes plus tôt. Puis je vois avec soulagement repasser les comprimés dans les toilettes. Sans doute pas la totalité, mais un bon paquet. Je me laisse glisser par terre, la respiration courte, et m'adosse contre le mur afin d'attendre que mon cœur reprenne un rythme normal.

Ensuite, quand je me sens suffisamment stable sur mes jambes, je me relève et mouille une serviette pour lui essuyer la bouche, alors que River est toujours étendue par terre. Elle est livide, trop calme, sans doute encore sonnée et à moitié dans les vap'. Je la contemple un instant, dans l'expectative, mais rien ne se passe. En même temps à quoi je m'attendais ? Songer qu'elle se lèvera et me congédiera relève de l'utopie. Elle a tenté de se suicider ! Bordel ! Je n'étais pas préparé à ça ! Si je n'avais pas oublié mon téléphone... Je secoue la tête et préfère ne pas songer à la suite. Quelques secondes s'écoulent, durant lesquelles mes yeux ne décrochent pas de la forme immobile à terre. Il faut qu'elle se réveille, qu'elle ne perde pas conscience. Elle risque de ne pas apprécier, mais je l'agrippe par-dessous ses épaules et la pousse sous la douche, avant d'ouvrir le robinet.

Elle hurle quand elle sent le contact de l'eau froide inondant son visage et ses vêtements, qui lui collent désormais à la peau. Je ferme le robinet lorsqu'elle tente de ramper hors de la douche, et l'aide à se relever, la maintenant fermement debout par les épaules. Hagards, ses iris troubles reprennent vie, ses traits se colorent et la rendent moins blafarde, malgré les cheveux qui dégoulinent. Nos regards s'accrochent et ne se détachent plus, dans un silence assourdissant. Le temps s'est suspendu, mais je comprends qu'elle est à nouveau consciente, grâce à l'éclat lucide qui brille au fond de ses yeux dont le bleu à viré au gris orageux. Je la sens trembler entre mes doigts, qui n'ont toujours pas relâché son corps, puis je brise notre lien visuel et la relâche. Je parcours la pièce à la recherche d'une serviette, sans succès.

— Il y a un t-shirt dans le sac de voyage, est-ce que tu peux me l'apporter s'il te plaît ?

Sa voix me colle une chair de poule astronomique. Ce n'est qu'un mince filet, fragile, vulnérable, comme la jeune femme désormais assise qui enserre ses genoux, la respiration rapide. Elle a l'air si démunie, tellement à l'opposé de la femme froide et détachée de tout à l'heure, que je reste un instant sans réaction, avant de lui amener son vêtement. Fini les sourires de façade, le désespoir semble hanter ses traits. Elle me montre le vêtement sans un mot et détourne le regard de manière pudique.

Inflamed (Sous Contrat Chez Addictives)Donde viven las historias. Descúbrelo ahora