11- Le plan parfait

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ULRICK

Je débarrasse la table, alors que grand-mère fait la vaisselle. Les assiettes sales dans mes mains, je dévisage mon père affaissé en train de végéter dans le sofa. Une mouche pourrait se poser sur son nez, il ne réagirait même pas.

- Tu ne travailles pas aujourd'hui ?

-Oui-oui. Je compte y aller. Toi, va à l'école.

- C'est ça ... Marmonnai-je.

Je parie qu'il ne va peut être même pas y aller et picoler jusqu'à tard l'après-midi comme il aime bien souvent faire. Je me retourne et inspecte la cuisine du regard. Toujours rien.

D'habitude, il y avait toujours du courrier sur le comptoir de la cuisine. Ça va faire deux semaines qu'on n'en a plus.

- On n'a toujours pas de lettre ?

Soudainement intéressé à la conversation, mon père se retourne vers moi, mais ne dit rien. Grand-mère me sourit tristement.

- Elle va répondre un jour, me dit-il.

Ça me gonflait et grand-mère le remarqua. Beaucoup plus petite que moi, elle me force à me baisser pour me donner un bisou sur mon front. Elle me chuchote à l'oreille :

-Aie confiance mon garçon. Tout va bien aller.

Elle me sourit et moi, je m'efforce à lui sourire en retour. Faire confiance à qui alors que tout le monde semble me délaisser.




Aller à l'école aujourd'hui a été très épuisant. Entre Dimitri et Yohan qui se lançaient souvent des regards, Sorane exaspérée d'eux et Adriel ayant toujours la haine contre moi, j'avais très envie de rentrer chez moi. Mais je me devais de faire quelque chose avant.

Malheureusement, la météo n'était pas de mon côté.

J'essaie de courir avec mon sac sur la tête jusqu'à une véranda. La pluie augmente de volume. Génial. J'abandonne mon plan pour aujourd'hui. De toute manière, j'ai encore beaucoup de temps pour lui demander.

Mais, quand j'y repense, je me sens un peu culotté. On s'est à peine parlé depuis la rentrée. Elle va trop croire que je suis un harceleur pervers. Toute la suite du plan dépendra seulement de sa réaction et de sa réponse.

Puis, il y a Adriel. Comment je peux m'assurer qu'il mordra à l'hameçon ? Car, c'est tout de même lui qui a refuser sa déclaration.

Je n'ai aucune idée des sentiments du rouquin. Normal. Je ne peux pas rentrer dans sa tête. Mais généralement, j'arrive facilement à déduire les réelles intentions des gens. Sauf Adriel.

Je regarde l'heure. Le bus arrive dans trois minutes. Si je cours assez vite, je crois que je peux atteindre l'arrêt au bout de la rue. À peine, je sors que quelqu'un me klaxonne et m'interpelle.

La voiture en question s'approche de moi. Je n'arrive pas à identifier la personne courant vers moi son imperméable rouge collant à sa peau.

Elle m'attire vers le véhicule dans lequel elle m'y engouffre. Je suis assis auprès d'une fille un peu plus jeune que moi. Je lui donnerais dans les 15 ans. Elle ne se gêne aucunement pour me dévisager silencieusement. Kenora échange quelques mots avec son père dans leur langue.

- Bonsoir, Ulrick.

-Bonjour, merci beaucoup, j'apprécie votre gentillesse. Pouvez-vous juste me déposer à l'arrêt de bus à côté.

-Tu rigoles? Le bus vient de passer et le prochain va prendre une heure avant d'arriver, me dit Kenora trempée.

-Pas grave, je suis de nature très patient.

-La pluie continuera à tomber durant toute la nuit, intervient le paternel. Viens avec nous au restaurant. Nous pouvons te ramener un peu plus tard durant la soirée.

Je n'insiste pas plus et les remercie.



Arrivée, le père de Kenora me donne une grande serviette. Je perçois quelque chose dans ses yeux que je n'avais pas remarqués dans la voiture. Ils reflétaient de la gentillesse et de la bienveillance. C'est rare de voir ça, ces temps-ci. Je le remercie pour la troisième fois de la journée.

Je m'assois sur un des petits tabourets rouges du comptoir.

-Liliane va à la caisse, lui ordonne son père depuis le fond de la cusine.

Cette dernière apparaît derrière le comptoir en grimaçant de dégoût et en portant un tablier coloré. En vérifiant la caisse, elle se fait un chignon avec ses cheveux noirs.

-Bonjour, ce sera pour emporter une soupe de ramen au tofu s'il vous plaît.

La dénommée Liliane pose ses yeux noirs sur moi et ses lèvres se forment en un rictus mauvais.

- Ça fera quinze dollars, m'annonce-t-elle en tendant la main vers moi.

-Quinze...

-C'est le prix à payer pour manger quelque chose de meilleur et de plus potable que les vieux hot-dogs mouillés d'à côté.

- Ah. Heu. C'était une blague. Je n'ai pas l'argent.

-Hm... Alors dis-moi, avec quel argent, allais-tu payer le bus ?

-Liliane, laisse-le tranquille, interrompt Kenora l'interrogatoire. Laisse faire la caisse. Va plutôt faire quelque chose de plus utile comme sortir l'épicerie.

La petite sœur part lentement non sans lui tirer la langue. Je me décide à venir aider la grande sœur à placer et nettoyer les chaises et les tables du restaurant.




Des clients arrivent un à un tranquillement jusqu'à ce que le restaurant finit par être rempli.

Durant sa pause, Kenora vient s'asseoir à ma droite.

-Le temps n'est pas trop long ?

-La télé me divertit.

On reste longtemps à fixer les gens en train de rire et de manger. Je jette un coup d'œil à Kenora. Elle semblait pensive et envieuse de deux étrangers en train de se taquiner.

-L'amitié, ça se chérie, n'est-ce pas ?

-Mouais...

-Ça l'air précieux ce qu'il y a entre toi et Adriel.

-Ouais, mais c'est différent maintenant. On ne se parle plus.

-Peut-être avec un petit coup de pouce, ça ira mieux.

Kenora se tourne vers moi. Ces yeux bridés me fixent intrigués et ses sourcils sont froncés. Je m'approche d'elle.

Comme j'avais dit précédemment, le plan ne dépendra que d'elle. Finalement, je crois que mon idée lui rendrait très grand service.

Dans le pire des cas, elle me giflera.

Mieux vaut tenter le coup que jamais.

y s u d aWhere stories live. Discover now