Chapitre 1 : Mirage doré

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Je me réveille dans une clairière ensoleillée. Autour de moi, je perçois le chant des cigales. Il fait chaud, mais une petite brise fraîche me caresse la peau. Des fleurs poussent çà et là dans une herbe tendre et douce. La végétation est luxuriante. Des vignes s'entortillent autour d'arbres fruitiers dont les branches ploient sous le poids de leurs fruits mûrs à point. Plantés en petits groupes désordonnés, des oliviers jalonnent la clairière et offrent des îlots d'une ombre divine.

Quelque peu désorienté, je reste à contempler ce paysage. Je n'aurais jamais cru qu'un endroit pareil existe en dehors des livres ou des tableaux.

« Comment suis-je arrivé ici ? »

Cette question flotte dans mon esprit, mais curieusement, il ne me semble pas si urgent d'y répondre. Alors, comme rien ne me retient là, je me lève et j'avance. Si j'explorais les alentours, peut-être apercevrais-je des animaux ? Mais tout d'abord, il me faut trouver un point d'eau, ma gorge est aussi sèche que du papier de verre. Et comme par enchantement, à peine ai-je formulé cette pensée, qu'une source d'eau limpide se matérialise devant moi. Elle jaillit de la terre en un petit bouillon, et se déverse dans une grande vasque de pierre blanche qui reflète la lumière du soleil. Bizarre, j'étais pourtant sûr qu'il n'y avait rien la première fois que j'avais regardé. Bon, peu importe, de toute manière cela m'arrange. L'eau est si claire que je peux y contempler mon reflet et sa saveur tellement fraîche que l'on pourrait croire qu'elle nous purifie. Que cet endroit est beau ! Je m'y attarderais bien.

Une main se pose alors sur mon épaule. Serein, je me retourne sans me presser et vois un homme de taille qui me dévisage d'un air méchant.

Bonjour, je lance gaiement, à qui ai-je l'honneur ? »

Pour toute réponse, l'homme m'agrippe alors par les cheveux et me tire en arrière. Comment fait-il puisque mes cheveux sont coupés courts ? En tout cas, il ne me veut pas que du bien et je dois essayer de lui faire lâcher prise. Mais il a une poigne de fer et ses mains restent fermement attachées à ma tignasse. Alors, l'heure est venue de réaliser l'un de mes rêves de toujours : je lui flanque un grand coup de pied dans les parties.

Bingo ! L'homme lâche mes cheveux et se recroqueville sur le sol. Il me ferait presque pitié quand il sort de sa veste un revolver aussi noir que l'enfer. Waouh, cette histoire est carrément en train de partir en sucette !

Alors, je me mets à courir comme un dératé. Je m'enfonce dans les bois, saute par-dessus les taillis. A ma première inspection des lieux, il n'y avait qu'une grande colline descendant en pente douce. Et, contrairement à tout à l'heure, l'ambiance n'est pas rassurante. Il fait sombre, des ronces bloquent le passage.

J'entends mon poursuivant derrière moi. Il se rapproche, il n'est plus qu'à une dizaine de pas. S'il tend le bras, je pense qu'il pourra me toucher. À bout de forces, j'ai les poumons en feu. Je sue à grosses gouttes et mes jambes me brûlent.

Soudain, j'entraperçois l'orée des bois et au-delà, une douce lueur dorée. Elle semble si chaleureuse, si accueillante. Pour une raison inconnue, je sens au fond de moi que cette nuée me protégera. Il faut juste que j'y parvienne et je serai sauvé. Je puise donc dans mes dernières forces pour l'atteindre. Quand cette présence bienveillante m'enveloppe, je me laisse choir sur le sol. Il ne me faut pas moins de dix minutes pour réaliser que je n'entends plus les bruits de la forêt : les cris des oiseaux, le vent soufflant dans les feuilles, l'eau bouillonnante d'un torrent proche. Je me relève lentement et regarde autour de moi ; les bois ont disparu ainsi que mon assaillant. Désemparé, j'observe de plus près cette lumière qui enveloppe les environs d'un nuage insonorisant. Un milliard de grains de poussière dorés bloquent les sensations que m'envoie le monde extérieur. Je fais un pas, puis un autre mais je ne vois rien. Paniqué, je me mets à courir sans plus savoir d'où je suis venu. Je rebrousse chemin, le nuage m'étouffe. Il entre dans ma bouche, dans mes yeux, dans mon nez. Les grains de poussière fourmillent à l'intérieur de moi. Je les sens boucher ma peau, pénétrer dans mes poumons, se coller à mon cœur. Je n'arrive plus à respirer et...

Je me réveille dans mon lit. Ha la bonne blague !

Je crois que je viens de vivre le rêve le plus cliché du monde : un paysage magnifique, un assaillant hostile, la course poursuite dans une forêt menaçante. Et enfin le retour à la réalité. La palme d'or du rêve le plus commun et banal !

Et qu'est-ce que j'étais cruche dans ce rêve ! Comme dans tous les rêves d'ailleurs. Il m'a quand même fallu attendre qu'un homme me tire par les cheveux pour comprendre enfin qu'il n'avait pas l'intention de jouer aux Playmobil avec moi. Soit, mais attention ! Au lieu de me dire : « Ahhhh au secours ! », j'ai songé « Comment fait-il pour m'attraper par les cheveux puisqu'ils sont coupés courts ? ». La logique des rêves c'est quand même quelque chose, question stupidité. Les rêveurs mériteraient d'être pendus pour la peine.

La seule petite originalité dans cette histoire, ma seule touche personnelle, si je puis dire, c'est ce nuage doré. Son scintillement enchanteur, qui m'avait au départ paru si séduisant, s'est révélé être en fait un piège.

Y a-t-il une signification à cette mystérieuse nuée ? Peut-être que je pourrais chercher dans l'un de ces livres stupides que l'on peut acheter sur les aires d'autoroute : Comment interpréter vos rêves avec Martine Debauche. Après tout, pourquoi pas ? C'est une idée comme une autre. Mais je suis sceptique. D'après mes souvenirs, il ne figure pas de symboles comme les « nuées dorées » dans ces ouvrages.

Je ne comprendrai sans doute jamais le fin mot de tout cela ; sauf si je me téléporte un jour dans mon cerveau. Autrement dit, tant pis ! Après tout, ce nuage n'est peut être que la traduction dans la langue des rêves de la lumière allumée sur ma table de chevet. Une conclusion médiocre pour un rêve particulièrement médiocre.

Je m'amuse alors à imaginer ce que cela donnerait si mon cerveau était transformé en pellicule et projeté au cinéma. Les gens trouveraient sûrement son contenu extrêmement banal et ennuyeux :

« Oh vous avez vu le coup du rêve ?

— Ah ouais, vachement cliché !

— Ça s'est déjà vu un millier de fois... »

Mais que voulez-vous, on ne contrôle pas son cerveau.

Effets secondairesDove le storie prendono vita. Scoprilo ora