Chapitre 8 : Sauvetage

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Deux semaines ont passé depuis que je suis rentré de l'hôpital.

Je me surprends parfois à espérer que d'ici un an ou deux, quand on repensera à cet épisode, on en rira autour d'une tasse de thé tout en se remémorant certaines anecdotes :

« Oh, vous vous rappelez quand je me suis écrasé sur le trottoir après avoir effectué mon premier vol ? Et vous qui aviez cru que j'avais tenté de me suicider. HA ! HA ! HA ! Qu'est-ce qu'on s'est bien marrés, n'est-ce pas ? »

Bon, je pense que les chances pour que cela arrive sont à peu près nulles. Et encore, je suis optimiste. Parce que en ce moment, l'ambiance chez moi se prête à tout sauf à la rigolade.

Mon père et ma mère se sont reconvertis en pots de colle vivants et ne me lâchent plus d'une semelle. Si cela ne tenait qu'à eux, je suis sûr qu'ils me suivraient jusque dans les toilettes, au cas où j'essayerais de me noyer dans la cuvette. Non, mais c'est vrai, on n'est jamais trop prudent ! Ils rentrent dans ma chambre à n'importe quelle heure du jour et de la nuit en invoquant une excuse bidon. J'ai quand même eu le droit à : « Benoît, si on vérifiait tes devoirs ? » « Mon lapin, j'ai décidé de t'aider à ranger ta chambre. » Ou encore : « Benoît, est-ce que tu as faim ? » (sachant qu'il était 1 h du matin)

Mais je pense que la meilleure, c'est quand ma mère a brusquement surgit dans la pièce, complètement affolée, parce que cela faisait au moins une demi-heure que je n'avais pas émit de son et m'a sorti : « Mon lapin, est-ce que tu as mal au dents ? »

Cependant, la plupart du temps, ils viennent juste pour me parler de tout et de n'importe quoi. Hum hum : « Chéri, viens, il faut qu'on parle de quelque chose de vraiment important. Est-ce que tu connais les dangers causés par la drogue ? »

Et ils utilisent tous les moyens possibles pour s'éterniser dans ma chambre. Je suis sûr qu'ils ont même établi un planning pour savoir qui viendrait me voir et à quelle heure.

Toutefois, comme je tente de m'en persuader, je ne peux pas trop leur en vouloir. Si l'on me disait que mon enfant a essayé d'attenter à ses jours, j'installerais des caméras de surveillance partout et je me cacherais dans son placard la nuit afin de m'assurer qu'il ne répète pas son geste. N'empêche, c'est extrêmement pénible et même déprimant à vivre au quotidien, surtout lorsque l'on sait ce qui s'est vraiment passé.

Mais ce qui me dérange le plus, ce n'est pas la surprotection de mes parents, ni même les rendez-vous avec Claire ou encore les anti-dépresseurs que je suis censé prendre. Non, ce qui m'affecte le plus, c'est le regard des gens. Quand mes voisins me croisent dans la rue, ils froncent les sourcils. Mes amis m'observent comme si j'étais cinglé et nos conversations se résument à de longues plages de silence entrecoupées de phrases comme : « Il fait beau aujourd'hui, vous ne trouvez pas ? » Mes profs, quant à eux, ne me regardent pas dans les yeux et ne m'interrogent presque plus.

On dirait que, d'un jour à l'autre, je me suis transformé en un vase de cristal que la moindre bourrasque de vent ferait osciller et tomber. Alors, quand on s'approche de ce vase, on doit être très calme, on ne fait pas de mouvement brusque et on ne le regarde pas en face. Mais surtout, jamais, Ô grand jamais, on ne fait référence à sa condition ou à son passé. Si quelqu'un a le malheur d'y faire allusion ne serait-ce qu'évasivement, il verra le vase se briser en mille morceaux et alors plus personne ne pourra le réparer.

Chaque fois que je m'approche de ces gens, mes anciens amis, mes parents, mes voisins, je les entends penser la Question avec un grand Q. La question fatale : « Pourquoi ? Pourquoi a-t-il essayé de se suicider ? »

Bien sûr, aucun de ces mots ne franchira jamais leurs lèvres. Ils ont bien trop peur de me voir voler en éclats.

Mes parents n'ont jamais abordé le sujet. Même quand j'ai essayé de les convaincre que j'étais tombé par la fenêtre, c'était moi qui avais lancé la conversation.

Effets secondairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant