Chapitre 5 : Comme Alice ?

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Les pas de ma mère résonnent dans l'escalier et traversent le couloir. La porte de ma chambre s'ouvre. Ma chère maman pénètre dans mon « antre ».

Elle est plutôt petite. Ses cheveux sont châtain clair, comme les miens, et sa peau conserve constamment une teinte bronzée, même en hiver et par des températures négatives ! Ce que j'aime chez elle, c'est son sourire. Le sourire d'une mère est souvent ce qu'il y a de plus réconfortant, du moins pendant l'enfance. Mais la mienne en a un hors du commun. Les passants dans la rue lui trouvent l'air gentil et compréhensif. Son sourire attendrit les gens. Pour moi cependant, il représente bien plus. Il me montre l'amour qu'elle me porte.

Eh bien ! Que tout ceci est niais ! Néanmoins, c'est la vérité. Son sourire me réchauffe de l'intérieur. J'irai même jusqu'à dire qu'il est plus important à mes yeux que tout autre langage affectif, comme les câlins ou les baisers. Du moment que ma mère sourit, tout va bien.

Toutefois, lorsqu'elle me voit allongé sur mon lit, pâle et les yeux vitreux, son sourire se fige et se transforme en une grimace d'inquiétude. Elle s'affole :

« Benoît, tu as pris des drogues ?!

— Quoi ? Mais non ! » je réponds.

Puis elle aperçoit le livre, la montre et la règle regroupés en un petit tas bancal au pied de mon lit.

« Mon lapin, me dit-elle avec un regard soucieux, que s'est-il passé ? J'ai aussi retrouvé les débris de ma tasse fétiche dans la cuisine. »

Pris de court, je reste quelques instants sans rien dire. Une excuse et vite ! Je finis par répondre juste à temps pour ne pas paraître suspect. Et par la même occasion, je sors le plus gros mensonge de toute ma carrière :

« Je me suis mis au jonglage et ça a raté. Je pends mon air le plus penaud et affiche mes yeux de chien battu. Je suis désolé, maman ; je sais que c'était bête de faire ça avec une tasse à thé... »

OK... je n'ai jamais vraiment été fort pour mentir, alors ne me jugez pas, s'il vous plaît.

Ma mère me regarde d'un air soupçonneux, puis reprend :

« Du jonglage avec une tasse à thé ? Il ne manquerait plus que ça. C'est vrai ce bobard ? Et

qu'est-ce qui est arrivé à ta montre ?

— C'est Nessy, je réponds sur le champ, elle l'a prise pour une souris et s'est mise à jouer au football avec, puis elle l'a envoyée valdinguer dans l'escalier. »

En fait, j'aurais peut être dû y réfléchir à deux fois avant de sortir cette excuse-là parce que maintenant, on croirait vraiment que je suis tombé sur la tête ou que je fais une overdose de chocolat. Les mensonges, ce n'est vraiment pas mon truc. Ma mère me regarde avec un air vraiment inquiet.

« Chéri, je pense que tu devrais te reposer, tu m'as l'air un peu malade. On reparlera de ça tout à l'heure. »

Je démentirai bien en essayant de trouver une nouvelle histoire à peu près plausible, mais cette situation m'offre une excuse en or pour rester au lit et ne pas faire mes devoirs.

« Tu as raison, maman, je me sens un peu fatigué. »

Ma mère attend donc que je sois sous mes couvertures, ramasse le livre, la montre et la règle, puis sort de ma chambre.

Après m'être bien enseveli sous ma couette, j'entame mon petit-déjeuner tout en consultant mon portable. Lentement, la routine reprend ses droits et les évènements de la matinée commencent peu à peu à sortir de mon esprit. Je me détends enfin complètement tandis que j'opère mes vérifications quotidiennes : mails, WhatsApp, Instagram... Là-dessus, rien de bien nouveau ; des filles à la plage, des mecs trop musclés, des chats qui s'aplatissent la face dans des miroirs ou encore des bébés qui refusent de manger leurs légumes. En somme, la même chose qu'hier, qu'avant-hier et que le jour encore d'avant.

Et à cet instant, des images me reviennent par flashs : ma tasse flottante, ma main lumineuse, les débris sur le carrelage. Je ne peux m'empêcher d'y repenser. Les même questions et les même constats se remettent à tourner en boucle dans ma tête.

Comment tout cela a-t-il pu se produire ?

Le monde au-dehors a bien continué de tourner, les gens n'ont pas cessé de poster des âneries sur Instagram et les enfants de grimacer devant leurs épinards.

Alors si, tout autour de moi, les gens n'ont pas changé, il se pourrait que ce soit moi qui ai été modifié ; non pas le monde qui m'entoure, mais ma seule personne.

Tout semblait normal pourtant : je me suis levé, j'ai pris mon petit déjeuner... Il n'y a pas eu de troisième bras qui m'a poussé au milieu du ventre ou une vision de Dieu me disant que j'étais l'Élu.

Alors, quand est-ce que cela s'est passé ? Pendant la nuit ? Ou se pourrait-il que je sois comme ça depuis ma naissance ? Et que mon horloge biologique ait tout simplement patienté jusqu'à aujourd'hui pour se manifester et me livrer ses secrets ?

Je me rends alors compte avec amusement que je mes pensées sont en train de suivre presque exactement le même cours de pensées que celles de la petite Alice quand elle tombe dans le terrier du Lapin et qu'elle se retrouve au pays des Merveilles. Bientôt, je vais me mettre à réciter mes tables de multiplications ou ma géographie et je vais découvrir que mon cerveau n'est plus qu'une page vierge dépourvue de toute connaissance. Soudain, pris d'un accès de paranoïa, je cherche dans mon esprit. Ouf, tout va bien, Dublin est toujours la capitale de l'Irlande.

Donc, mon histoire n'est pas celle d'Alice. Quelle est-elle alors ? Que signifie ce don, mais surtout, pourquoi est-il accompagné d'un effet secondaire ? Y-a-t-il aussi un sens à celui-ci ? Car cet effet ruine complètement l'attrait merveilleux du pouvoir. Il m'empêche de l'utiliser.

Ah, que tout cela me fatigue. La vie ne donne jamais de réponses simples, et c'est à nous, pauvres mortels, de tout déchiffrer : dois-je en parler à mes parents ? Est-ce le seul don que je possède ? Pourquoi est-ce à moi en particulier qu'il est échu ?

Bien sûr, trop de questions et pas assez de réponses.

En attendant, toutes ces réflexions m'ont donné chaud. Je repousse la couverture à grands coups de pieds, mais la pièce ne me paraît que plus étouffante. Je dois ouvrir ma fenêtre. La clameur des rues parisiennes me parvient et m'enveloppe d'un nuage réconfortant. Le bruit des voitures, le blabla des passants, les odeurs du marché du samedi, les fleurs, le poisson, la viande, le fromage... Tant de bruits familiers qui me bercent de leur douce musique. Je me sens mieux, je me sens bien. Mes problèmes, pendant un court instant, ne me semblent plus aussi importants.

Je ressens alors une forte pulsion, l'envie pressante d'observer ces gens de plus près sans qu'ils puissent me voir, dans l'anonymat le plus total, sans perturber le train paisible de leur vie. Je veux pouvoir regarder la dame qui sort son chien ou la mère qui emmène ses enfants au parc. Je veux entendre le marchand de fruits apostropher les passants.

Ma chambre est située au premier étage de notre maison, ce qui fait que j'ai une vue relativement bonne sur la rue. Je me penche par-dessus le rebord de la fenêtre. Mais comme ce n'est pas assez, je me penche encore et encore. Puis je sens que je suis allé trop loin. Mon corps bascule et je tombe dans le vide. La panique m'envahit. Pendant quelques secondes, je me prépare à voir ma vie défiler devant mes yeux.

Puis, je ressens la même sensation que lorsque j'ai soulevé la tasse de thé dans les airs, ce matin dans la cuisine. Je vois mon corps s'illuminer de cette étrange lueur dorée et je réalise alors que... je vole !

Effets secondairesTahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon