Chapitre 7 : J'ai raison, n'est-ce pas ?

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Je réémerge... Peut-être pas aussi pimpant et dynamique qu'avant mon vol, mais me revoilà tout de même ! On m'a transporté à l'hôpital. Triple fracture de la jambe. Épaule disloquée. J'ai aussi de multiples coupures et quelques hématomes. Néanmoins ce ne sont que des blessures superficielles.

Les médecins s'accordent tous à dire que je suis extrêmement chanceux. Tous, sauf... moi. J'ai envie de leur cracher à la figure, à ces petits docteurs ignares ! De leur faire avaler leurs stupides résultats d'analyses !

Non, mais rendez-vous compte ! On me gratifie d'un don qui me permet d'accomplir un miracle. De ressentir des choses incroyables, inimaginables et puis... FLOP ! Plus rien ! Ou... au contraire, c'est même pire. Dès que j'ai reposé le pied sur le sol, je me suis écrasé lamentablement par terre et me voilà à l'hôpital.

Me trouvez-vous toujours chanceux ? Parce que moi, non. Moi, j'ai l'impression d'être maudit.

Je m'en rends compte maintenant. Ce n'est pas un hasard si je me suis blessé. Je crois que j'ai à peu près saisi le schéma, désormais. Chacun des talents que j'ai reçus est assorti d'un effet secondaire. Voici ceux que j'ai réussi à identifier :

— chaque fois que je ferai léviter un objet, il se fendra, se brisera etc, dès que je l'aurai reposé sur une surface stable ;

— chaque fois que je volerai, je découvrirai une blessure que mon corps se sera infligé, dès que j'aurai regagné la terre ferme.

Vraiment, je ne comprends plus rien à toute cette histoire. Des questions tournent en boucle dans ma tête, si bien que je visualise maintenant mon cerveau sous forme de point d'interrogation. Néanmoins, certains problèmes reviennent avec insistance. Quels autres dons inutiles la vie me réserve-t-elle ? Mais surtout, pourquoi m'a-t-on doté de tels talents superflus ? Y a-t-il une raison à ces effets secondaires ? Ou au moins une signification ?

Je n'aurai sûrement jamais de réponse, à part si Dieu m'apparaît soudain en rêve. J'ai vraiment l'impression d'être tombé dans une autre dimension. Un matin, je me réveille comme d'habitude, puis tout se déverse sur moi d'un coup : la lumière, les dons, les effets secondaires... Si mes facultés pouvaient au moins être utilisées, cela m'aiderait à supporter les aspects « néfastes » de mes dons. Mais c'est impossible, mes pouvoirs sont inutiles.

Parce que, non, clairement, je ne peux pas réessayer de les mettre en pratique. Un beau jour, je vais tenter de faire léviter des couteaux et, dans la seconde qui suit, j'aurais les doigts à moitié tranchés. Ou encore, je serais en train de voler au-dessus d'un immeuble et en moins de temps qu'il n'en faudra pour dire « Ouf », je serais écrabouillé sur le trottoir.

« Le garçon aux pouvoirs maudits ». Cela ferait un superbe titre de livre.

Mais je pense que le pire, dans tout ça, c'est que les gens ne semblent pas reconnaître mes dons. Ou plus précisément, ils semblent distinguer une sorte de « réalité modifiée ». Ceci expliquerait pourquoi personne n'a réagi ou prononcé d'encouragements et de félicitations après mon « vol plané ». Je me rends bien compte que j'y suis allé un peu fort la dernière fois. Je les ai traités « d'ingrats ». Mais il faut me comprendre : je n'étais pas tout à fait dans mon état normal, comme vous avez peut-être pu le remarquer. Je venais de vivre quelque chose d'incroyable et j'en attendais plus d'eux. Surtout lorsque mon exploit s'est ensuivi d'un échec cuisant. J'aurais souhaité pouvoir entendre des encouragements et j'ai été tellement déçu quand ils n'ont pas réagi avec l'enthousiasme escompté. Ce n'était évidemment pas leur faute.

Mais cela ne change rien au fait que mon cas est désespéré. Maintenant, les médecins et mes parents ont l'air de croire que j'ai tenté de me suicider. Je suppose que tous les spectateurs présents lors de mon grand saut ont dû témoigner, afin d'entériner cette version des faits, puisque c'est sûrement ce qu'ils ont vu.

Du coup, je me coltine... une psychologue ! HIP HIP HOURRA ! Sortez le champagne !

Elle s'appelle Claire. Elle n'est pas méchante, mais elle me tape dur sur le système. Elle a l'air convaincu que j'en suis à un stade de dépression avancé et qu'à tout moment, je risque de sortir un couteau et de me le planter en plein cœur. Ce qui peut en partie se comprendre vu que tout le monde est convaincu de m'avoir aperçu en train de sauter du premier étage d'une maison. Je suppose donc que je ne dois pas non plus lui en vouloir de se montrer aussi alarmiste. Mais bon, mettez-vous à ma place. Je dois lutter en permanence contre l'envie d'attraper ma tasse de thé et de la lui jeter au visage.

Claire essaie de paraître cool et décontractée pour que je m'ouvre à elle. Elle voudrait que je lui livre tous mes secrets, mais bon, je suis pas complètement con non plus. Si je lui révélais vraiment TOUTE la vérité et bien comment diiiiiiiiire...

« Mais non, détrompe-toi, Claire ! Je n'ai pas tenté de mettre fin à mes jours. Je viens juste de me découvrir des dons cachés et là, j'essayais d'apprendre à voler. Tu devrais t'y mettre, tu sais, c'est génial ! Viens, allons tous virevolter au-dessus des nuages. Youpi ! »

Sauf que là, à coup sûr, elle me ferait enfermer dans un asile.

Donc, cette option est définitivement rayée de la liste. Alors, je fais œuvre de beaucoup de patience lorsque les médecins ou elle me posent des questions dans le style : « Est-ce que tu es suicidaire ? Les choses n'allaient pas bien à la maison ? Benoît, pourquoi est-ce que tu as sauté de cette fenêtre ? »

Juste pour t'énerver, crétin.

Mais bon, je veux rentrer chez moi au plus vite, donc je joue le jeune garçon perdu et innocent et je reste évasif. Puis, après mûres réflexions, je me dit qu'il faudrait quand même trouver une excuse plus ou moins plausible pour mon soi-disant « suicide ». Je ne peux pas leur décréter par exemple que j'étais vraiment énervé ce jour-là, parce qu'il n'y avait plus de corn-flakes, et que, du coup, je m'étais jeté par la fenêtre de désespoir. En plus de suicidaire, il pourrait bien me diagnostiquer bipolaire. Du coup, j'invente une histoire qui tient à peu près la route. J'entreprends de convaincre Claire, ainsi que l'intégralité du corps médical qu'en me penchant par-dessus mon balcon, j'ai basculé et je suis tombé. Ce qui d'ailleurs n'est pas totalement faux. Mais ma psychologue n'a pas l'air convaincu. Toutefois, elle a la gentillesse de me laisser croire qu'elle est de mon côté, ce que l'on ne peut pas dire de tout le monde. Lorsque je répète ce récit au médecin, il me rétorque littéralement :

«D'accord, d'accord... Vous avez pris vos médicaments aujourd'hui, Benoît ? »

Cependant, après une semaine qui m'a semblé durer un an, ils me laissent enfin sortir. Sortez les clairons et faites résonner les hautbois ! Mais on a assorti ma libération d'une condition : je dois aller voir ma psychologue une fois par semaine ainsi que m'empoisonner aux antidépresseurs.

Depuis que je suis rentré, ma mère me dorlote et ne veut pas me laisser seul plus de cinq minutes d'affilées. J'ai bien essayé de lui faire gober la même version qu'à Claire, mais ni mon père ni elle n'ont l'air d'y croire davantage.

Je ne peux pas sortir parce que ma jambe me fait trop mal. Un plâtre gigantesque l'emprisonne jusqu'au bout des orteils. Quant à mon épaule, elle va mieux, mais ce n'est pas encore tout à fait comme avant. Les médecins ont dit que, dans une semaine, je pourrai sortir de chez moi armé de béquilles. Du coup, je m'ennuie à longueur de journée. Je ne vois plus mes amis ou mes voisins. Même mes professeurs en viennent à me manquer. Pour passer le temps, je m'amuse à décorer moi-même mon plâtre. Bob l'éponge, Dora l'exploratrice, tous y passent. Mais au bout d'un moment, ça m'agace, alors, j'attends et j'essaie de m'occuper comme je peux.

J'ai l'impression d'être fou, vous savez. Je suis le seul à voir les choses comme elles sont censées l'être. Personne ne me croit. Bientôt, je vais me mettre à adhérer à la théorie du complot. Sauf que... Si ça se trouve, c'est eux qui ont raison et moi qui ai tort.

NON ! Je ne peux pas ni ne dois m'engager là-dedans. Si je commence, ne serait-ce qu'à évoquer cette possibilité, je vais me mettre à y croire.

J'ai raison, j'ai raison, j'ai raison. Oui, j'ai raison, j'ai raison, j'ai raison... Parce que, j'ai raison, n'est-ce pas ?

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