Comment les ados utilisent le numérique pour se construire ?

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Réseaux sociaux, jeux vidéo, séries et autres youtubers participent à la socialisation des adolescents dans le sens où c'est de cela dont ils discutent entre eux. Cependant, à côté de cette construction par groupe de pairs, ces médias contribuent également à leur construction individuelle.

Les adolescents et les médias

Les jeux vidéo

Les jeux vidéo sont des challenges où l'on doit réfléchir à une stratégie et atteindre des objectifs. On réussit ou on échoue, c'est-à-dire que l'on éprouve des émotions : la joie, la satisfaction, la déception, la frustration... À un âge de bouleversements internes aussi bien que de changements externes, les jeux vidéo permettent d'explorer ces registres émotionnels.

L'adolescent est le premier surpris par ces changements et ce vécu est parfois éprouvé sur le versant de l'angoisse. Le jeu vidéo parce qu'il est immersif, c'est-à-dire qu'il occupe aussi bien le corps que l'esprit, permet d'oublier un temps que grandir n'est pas facile tout en permettant d'éprouver du plaisir.

Les jeux vidéo revêtent également une dimension sociale lorsque les adolescents jouent à plusieurs en ligne, ou lorsqu'ils en discutent entre eux. Comme tous les passionnés, les joueurs de jeux vidéo aiment parler de leur passion.

Les réseaux sociaux

Pour effectuer leur séparation d'avec les parents les adolescents prennent appui sur le groupe de pairs. Dans ce cadre le smartphone est un moyen d'avoir leurs amis toujours auprès d'eux.

À un âge où ils se cherchent, les adolescents ont besoin des autres pour comprendre qui ils sont. On parle alors de validation de soi à travers le regard des autres. Sur les réseaux sociaux les adolescents ne sont pas à la recherche d'un "soi profond" mais expérimentent diverses facettes de leur personnalité (Tisseron, 2011). Les « j'aime », les partages, les commentaires sont autant de gratifications pour une estime de soi qui a besoin d'être confortée à cet âge.

Les adolescents sont également à la recherche d'un espace public où s'exprimer. Force est de constater que la société actuelle ne leur laisse pas beaucoup d'espaces pour le faire. A travers les réseaux sociaux les adolescents cherchent avant tout à se construire et échapper au contrôle des adultes (Boyd, 2016).

Les vidéos

À travers les youtubeurs, les séries, ou la télé réalité les adolescents sont à la recherche de modèles de substitution aux idéaux parentaux. Cela peut prendre l'aspect de quelqu'un à qui s'identifier et/ou une manière de se comparer (je suis comme celui-ci plutôt que comme celui-là).

Les contenus médias qu'ils regardent (comme les jeux vidéo auxquels ils jouent, la musique qu'ils écoutent ou leur tenue vestimentaire) viennent conforter leur appartenance à un groupe, une sous-culture, une communauté d'intérêt...

La construction de soi en lien avec les autres

Les adolescents grandissants dans un monde connecté ont à leur disposition tous les outils pour exprimer les changements inhérents à l'adolescence. Dans ce registre le numérique et les réseaux sociaux sont utilisés dans la construction de soi.

Contrairement aux premiers utilisateurs, les adolescents d'aujourd'hui n'utilisent pas Internet pour aller à la rencontre de nouvelles personnes et découvrir de nouveaux horizons, mais ils utilisent les réseaux sociaux pour se socialiser entre pairs. Ainsi leur utilisation des outils numériques est en quelque sorte devenue le prolongement de leurs activités hors-ligne (Boyd, 2016).

Sur Internet l'attention est une monnaie d'échange, et la mise en avant de soi une manière d'obtenir des gratifications narcissiques. Ainsi, l'adolescent cherche à obtenir la confirmation de sa propre valeur. Au final les contenus publiés n'ont pas beaucoup d'importance, ils ne valent que par les réactions qui vont permettre à l'adolescent de déterminer qui il est. C'est pour cela que le groupe, en général mais aussi en ligne, revêt tant d'importance. Dans le groupe en ligne, l'adolescent trouve à la fois du semblable et du différent. Semblable dans le sens où il trouve des communautés d'intérêt et différents de sa famille et de lui-même (Leroux, 2017). Cet âge, loin de correspondre avec à une «épidémie de narcissisme» généralisée et durable, est à concevoir comme une période de construction de soi en lien avec les autres.

Autonomisation et rituels d'interaction

À travers les outils numériques la « jeunesse hypermoderne » cherche des réponses à des questionnements « relativement traditionnels » que ce soit « en marquant son avancée dans l'autonomisation » ou « en s'inventant des rituels d'interaction ou en cherchant à mieux se découvrir » (Lachance, 2013).

À travers la « désynchronisation » (retards et noctambulisme), la création de « situation d'urgence » (tout faire à la dernière minute) et les « expériences ubiquitaires » (faire plusieurs choses à la fois) ne sont pas forcément recherchées des « formes d'opposition » mais des « moyens pour modifier son rapport au temps pour gagner des kilomètres sur le chemin de l'autonomisation » (Lachance, 2012).

Les rituels d'interaction, quant à eux, sont étroitement liés à l'usage de la caméra (comme les flammes sur Snapchat), à travers de laquelle les adolescents expérimentent les règles et les codes qui régulent les relations entre les sujets, quitte à en inventer (Lachance, 2013).

Dans la psyché des ados

Trois mécanismes psychiques sont particulièrement intéressants pour comprendre ce qui se joue entre les adolescents et le numérique. Il s'agit de l'extimité, la projection de soi dans un avatar, et la virtualisation. Ces mécanismes ne sont pas propres à l'adolescence. Ils seraient plutôt facilement observables à cette période où tout est exacerbé.

L'extimité

L'extimité est le désir de montrer des parts intimes de soi physique ou psychique. Ce n'est pas de montrer ou découvrir son « soi intime » mais plutôt d'explorer les multiples facettes de sa personnalité (Tisseron, 2003). En découle la multitude d'applications, de profils et d'avatars au travers desquels l'adolescent peut tour à tour tester son potentiel de séductions, partager ses divers centres d'intérêts, ses hypothèses sur le monde, etc. Le désir d'extimité est alors la recherche de la « validation de soi à travers le regard de l'autre » (Tisseron, 2011).

Il ne faut cependant considérer ce besoin d'expression de soi comme univoque et à sens unique. La construction identitaire se fait dans les échanges qui impliquent une certaine réciprocité, une « empathie relationnelle » qui consiste à rendre visible une partie de soi à condition que l'autre rende visible une partie de lui-même. À contrario, la simple mise à la place de l'autre dans un mécanisme à sens unique est à considérer comme une « empathie cognitive » qui est à la base de mécanique perverse, lorsqu'un individu cherche à tirer un avantage ou obtenir une faveur (Ibid.). Ce qui est le cas avec les sexting ou dans les situations de cyberharcèlement.

L'avatar

A l'adolescence, la réalité virtuelle constitue une sorte de prothèse (Pannetier, Essadek, & Shadili, 2017) : un processus transitionnel au sens que lui a donné Winnicott (Marcelli et al., 2016). L'avatar, le double numérique, est dans ce registre un des moyens de travailler la construction de l'espace psychique. La réalité virtuelle permet une assise narcissique face aux changements induits par l'adolescence. Elle permet aussi la construction de soi tout en s'opposant aux parents mais en évitant confrontation et mises en danger relationnelles directes (Pannetier et al., 2017; Stora, 2008). Elle permet alors de se forger un idéal du moi dans le sens du roman familial. C'est pour cela que l'avatar peut finalement recouvrir une dimension auto-thérapeutique lorsque les adultes sont des médiateurs défaillants vis à vis du monde.

Virtualisation psychique

La séparation entre réel et virtuel n'est pas tout à fait exacte. Il est préférable de parler d'un virtuel psychique et d'un virtuel numérique (Tordo, 2014, 2017). Par exemple, une femme enceinte qui pense à son bébé à venir le "virtualise". C'est seulement à sa naissance qu'elle actualisera son Moi en devenant maman. La grossesse est alors une phase de préparation, de maturation. Le virtuel numérique permet d'actualiser ou de laisser en suspens. Par exemple, si j'ai envie d'une nouvelle paire de chaussure et que je surfe sur des boutiques en ligne, je suis en train de "virtualiser". Si je commande une paire j'actualise cette virtualisation. De même, deux adolescents qui flirtent sur une messagerie instantanée virtualisent leur relation. Ils peuvent l'actualiser en se rencontrant physiquement, ou laisser les choses dans le registre de l'imaginaire. C'est alors une sorte d'entraînement à leurs relations sentimentales futures.

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