Élever un ado 2.0

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Le smartphone est donné aux adolescents avec le désir de les protéger « en permanence » en même temps qu'il existe une peur de ce qu'ils font avec (Lachance, 2019). Les adultes ont bien souvent des a priori concernant les adolescents. Contrairement aux idées reçues les adolescents ne souhaitent pas à tout prix transgresser les interdits. Ils auraient même tendance à intégrer les normes et les messages de prévention, et seraient en demande du soutien des adultes (Boyd, 2016; Cordier, 2015; Lachance, 2019). Ce qu'ils ne supportent pas c'est l'intrusion dans leur intimité et également qu'on ne leur fasse pas confiance. (Lachance, 2019). C'est pourtant ce qu'il se passe avec les outils numériques, alors que ces deux points sont fondamentaux pour l'acquisition de leur autonomie.

Jocelyn Lachance propose la mise en place de pacte de déconnexion (2019). Pour le socio-anthropologue les adolescents sont confrontés à un paradoxe. Les adolescents doivent être joignables en permanence en même temps qu'ils ne doivent pas être connectés tout le temps. Autrement dit, à travers les outils numériques ils ne devraient être accessibles que par leurs parents, et c'est méconnaître le besoin d'autonomisation des adolescents. Aussi pour lui, il convient de ritualiser l'usage des outils numériques. Aboutir cet objectif nécessite de :
- Croire au potentiel de déconnexion des jeunes au-delà des apparences ;
- Interroger ses propres pratiques pour proposer des rituels de déconnexion conformes aux usages de la famille ;
- Ritualiser l'achat d'outils numériques en insistant sur leur importance symbolique ;
- Accepter l'évolution des rituels de connexion et des pactes de déconnexion en fonction de l'âge et de l'utilisation.

Généralement la relation entre le bien être de l'enfant et le temps d'écran sont envisagés de façon linéaire. Ainsi plus un individu passerait de temps devant les écrans plus il aurait des chances de développer des problèmes de santé mentale. Et inversement, moins il serait exposé aux écrans mieux il irait. Deux recherches récentes tendent à montrer le contraire : la première réalisée au Royaume uni sur 12000 adolescents montre que la santé mentale baisse aussi bien avec les temps d'écrans faibles que les temps élevés (Przybylski & Weinstein, 2017) ; la seconde menée aux Royaume uni, aux USA et Irlande montre qu'une diminution du bien-être correspondrait à une hausse exponentielle, puisqu'il faudrait que les personnes utilisent les écrans 63 heures et 31 minutes par jour (Orben & Przybylski, 2019). Ces résultats confirment ceux d'une autre recherche qui montre qu'il n'y a pas de relation entre le temps de jeu et l'apparition de problèmes de santé mentale. Au contraire, des temps importants de jeu sont associés à une diminution des problèmes interpersonnels et des bénéfices dans le domaine pro-social (Kovess-Masfety et al., 2016).

Vivre en société est un apprentissage qui commence dès le plus jeune âge. Les règles, comportements requis et postures adéquates évoluent avec le développement de l'enfant (certaines choses qui sont tolérées pour un enfant de 3 ans ne le sont plus à 6 ans. Et certaines choses qui sont tolérées à 6 ans ne le sont plus à 9. Et ainsi de suite...). Il n'y a pas de raison que l'éducation aux médias et à l'information échappe à ce principe. Le but de cette éducation au numérique est certes de protéger l'enfant mais aussi de le préparer à exercer sa citoyenneté future. L'époque où l'on opposait le réel au virtuel est révolue. Les jeunes d'aujourd'hui vont vivre dans un monde avec des robots, des algorithmes, des intelligences artificielles, etc. Ces données nouvelles doivent être prises en compte dans l'éducation.

Cependant, lorsqu'on est parent, éduquer des enfants c'est transmettre certaines valeurs. Il est possible de tenir un enfant éloigné des écrans, mais seulement si ce choix est concerté et réfléchi entre les parents (parce qu'on y comprend rien ou n'aime pas ça, n'est pas une raison suffisante), et si ce choix est suffisamment expliqué aux enfants. Par contre avec un adolescent, la manière de concevoir les choses est quelques peu différente. À l'adolescence, il faut entraîner son enfant à faire ses propres choix et les assumer ensuite. Cela ne signifie pas qu'il ne doit pas y avoir de règles. Celles-ci sont d'autant plus nécessaires que les parents vont devoir laisser toujours plus d'autonomie à leur progéniture. Autrement dit, il revient aux parents de fixer un cadre, et des limites à ne pas dépasser. Ces règles ne sont pas immuables. Elles doivent évoluer, s'assouplir ou se durcir, selon que l'adolescent s'y conforme ou non. Dans tous les cas, les parents doivent donner leur opinion sur les choix de leur adolescent. Cela l'aidera à construire la sienne. Mais tant que l'adolescent ne se met pas en danger et ne néglige pas les autres impératifs de son existence, il n'y a aucune raison d'interdire ou d'essayer d'éviter. Ni les écrans ni le numérique ne sont dangereux en eux-mêmes. Il y a simplement des usages qui sont adaptés et d'autres qui ne le sont pas. Pour aider l'adolescent à ajuster ses comportements il est nécessaire de le laisser expérimenter, comme il est impératif de discuter avec lui de ce qu'il fait sur Internet, des jeux auxquels il joue, des contenus qu'il affectionne, des vidéos qu'il regarde, etc. Cela lui permettra de comprendre que ses parents s'intéressent à lui, ce qui est indispensable à la construction de l'estime de soi.

Numérique & adolescenceWhere stories live. Discover now