Paniques morales et adophobie

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D'après le sociologue Stanley Cohen (1972), une panique morale peut être définie comme une situation dans laquelle les peurs du public dépassent largement la menace objective que représente pour la société un individu, un groupe particulier ou une pratique spécifique qui est supposé être responsable d'une menace. Les paniques morales présentent 3 éléments caractéristiques :
-  Un diable folklorique, c'est-à-dire une attention focalisée sur un élément qui est dépouillé par les médias de toutes ses caractéristiques en conservant exclusivement les aspects négatifs ;
-  Un écart entre l'inquiétude suscitée et la menace objective ;
- Des fluctuations au fil du temps dans le niveau d'inquiétude.

Toutes les nouveautés sociotechniques et culturelles ont soulevé des inquiétudes (Boyd, 2016; Lachance, 2016; Mao, 2013; Minotte & Rosas, 2016). Depuis Socrate qui s'inquiétait du développement de l'écriture, des inquiétudes au sujet de l'imprimerie, de la machine à vapeur, des romans littéraires, de la télévision ou à chaque nouvelle « culture jeune » comme le rock'n roll, le rap, la bande dessinée et les mangas, etc., nous constatons que les générations précédentes se méfient de la nouveauté. Sans doute ce fossé générationnel est-il nécessaire, puisque « Les adolescents ont besoin de leurs territoires de leurs cultures afin de s'autonomiser et se construire une identité propre » (Minotte & Rosas, 2016). Ainsi, il est courant de voir dénoncé un déficit culturel chez les adolescents. Ils passeraient trop de temps connectés ou devant leur écran ; ne seraient pas intéressés par le réel et la vraie vie ; partageant leur vie en ligne ils n'auraient plus le sens de la vie privée (Minotte & Rosas, 2016). De même, de nombreux pièges seraient tendus aux adolescents sur la toile. Des prédateurs sexuels aux recruteurs de DAESH, du Blue whale challenge au Momo Challenge les usages numériques sont décrits comme dangereux. Médias, pouvoir publics et professionnels ne se privent pas pour lancer des alertes sur des risques disproportionnés et faisant fi de la recherche scientifique sur le sujet. Ainsi, sur le Web à côté des fake news contre lesquelles il faut équiper les adolescents, existe une fake science qui se répand à travers des articles pièges à clic, dont de nombreux professionnels s'emparent au prétexte de protéger les adolescents et véhiculant ainsi les paniques morales. Pour le socio-anthropologue Jocelyn Lachance ce phénomène a un nom, il s'agit d'adophobie (2016), c'est-à-dire la manifestation de la peur ancestrale des adultes à l'égard des plus jeunes, une crainte de ceux « qui sont en train de grandir ». En somme, c'est comme si notre peur pour les ados se transformait en peur des ados.

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