Chapitre VII : Là où je passe un autre Noël seule

27 1 0
                                    

     La solitude, elle était à nouveau ma compagne pour mon deuxième Noël parisien, sans ma famille. Carla comme l'année dernière, était partie avec son tuteur. Ils m'avaient généreusement proposé de venir avec eux sur la côte, mais je ne pouvais pas accepter. Ils avaient besoin de temps ensemble : ils étaient comme père et fille, j'en était très heureuse pour Carla. Une telle jeune femme méritait l'affection d'un père et son soutien.

     Je vivais pendant ma période à Paris dans une pension pour jeunes filles, et il était possible de passer Noël avec les autres pensionnaires et notre locataire, Madame de Clerc, une femme de 32 ans environ. Elle était veuve depuis 5 ans. Elle se retrouvait donc seule avec un fils de 8 ans à élever. C'est ainsi qu'elle avait décidé d'ouvrir cette pension pour jeunes filles. Son fils Georges était pour moi comme un petit frère : je ne voyais plus mes frères et sœurs depuis que j'étais à Paris et ils me manquaient.

      Malgré l'absence de son père, Georges était un garçon plein de vie et ce qui était le plus touchant c'était la manière dont il s'occupait de sa mère. Tel le petit homme de la maison, il faisait en sorte de soutenir sa mère dans les moments de coup dur. Le soir il faisait le tour de la maison pour vérifier que tout était fermé. Lorsqu'on venait livrer le lait et les œufs il vérifiait l'intégralité des commandes. C'était un fils que toute femme rêvait d'avoir. Un seul sourire de sa part dans des moments de tristesse suffisait à reprendre confiance et à voir la vie plus belle.

      Je me suis donc dit que la meilleure option était de passer Noël avec eux : leur compagnie m'était très agréable même si je ne les côtoyais finalement pas beaucoup dans l'année, préférant rester avec Carla et d'autres jeunes gens de la faculté. Les quelques jours qui précédèrent Noël furent consacrés à la décoration de la maison et à la confection de la crèche. J'y prenais beaucoup de plaisir, car j'aimais voir les étoiles dans les yeux de Georges, lorsqu'on mettait les boules dans le sapin, les bougies dans toute la maison, les branches de houx dans l'escalier et, Madame de Clerc y tenait beaucoup, le gui à la porte d'entrée. Toute la maison respirait le bonheur, on entendait les doux chants de Noël dans la rue interprétés par différentes chorales. Pendant ces quelques jours on aurait dit que le temps suspendait son cours, et que plus aucun souci de la vie n'avait d'emprise sur nous. C'était libérateur de se sentir si léger !

      Le soir du 24 décembre, tout était calme dans la rue. Chacun était rentré chez soi pour se préparer à ce qui allait se passer cette nuit-là. On mettait ses plus beaux habits, on priait avant d'aller à la messe de minuit. Puis ce fut enfin l'heure, j'accompagnais Madame de Clerc, Georges et toutes les jeunes filles à l'église. Et au début de la cérémonie, lorsque le prêtre déposa l'enfant-Dieu dans la crèche, une larme coula de mes yeux. Je savais que quelque chose d'infiniment grand se passait et j'en était émue. Et ce qui était arrivé cet été avec Augustin et que j'avais tant voulu oublier revint à mon esprit.

     « Pourquoi ne m'as-tu rien dit à propos de Valentine ? Pourquoi m'avoir caché tes fiançailles ? Augustin ? Tu n'aurais jamais dû me laisser ainsi espérer durant ces deux mois... Je t'ai donné toute ma confiance mais toi tu doutais de moins au point de ne rien me dire »

     « Pourquoi ? Mais pourquoi t'en aurais-je parlé alors que j'étais si heureux avec toi ? Je ne voulais pas assombrir nos vacances en risquant que tu t'éloignes de moi en t'apprenant cela. Et hier soir j'avais l'intention de t'en parler si tu étais venue... »

     « Mais tu as trop attendu et je l'ai appris par la mère de ta fiancée... Alors pourquoi avoir attendu si longtemps ? »

     « Élisabeth, je t'aime et je voulais te dire hier soir que j'étais en effet fiancé mais que par amour pour toi je romprais sans hésiter. »

      Ses dernières paroles résonnaient encore et encore dans ma tête. J'aurais dû lui répondre que je l'aimais et accepter sans hésiter sa proposition mais les mots restèrent bloqués dans ma gorge. Je pensais à cette jeune fille Valentine qui aimait Augustin et à qui il avait déjà promis sa vie ; je ne pouvais pas le prendre à elle. Et je l'ai laissé partir : deux cœurs furent brisés ce jour-là. Je n'ai jamais revu Augustin par la suite. J'ai appris qu'il avait arrêté le droit, repris l'entreprise de son père, et qu'il se mariait ce jour de Noël 1909.

      La messe finie, nous nous sommes agenouillés devant la crèche et nous avons prié. C'est alors qu'un homme se mis à mes côtés devant la crèche. Sans même l'avoir regardé je reconnu l'homme que j'avais vu à l'église le jour où j'ai reçu la lettre d'André, et malgré mon passé qui me revenait à l'esprit j'étais étonnement sereine. Sa simple présence était apaisante et je sentais que son cœur avait souffert aussi mais qu'il savait comment panser ses blessures. Quand nous nous sommes relevés tous les deux, nos regards se sont croisés et il m'a souri. En sortant de l'église je voulu le voir et tenter d'avoir son nom, ou savoir si quelqu'un le connaissait mais il avait disparu. Alors j'ai rejoint madame de Clerc et son fils et nous sommes rentré afin de nous reposer pour la grosse journée de Noël qui allait suivre.

      La neige commençait tout juste à tomber et j'aimais entendre le crissement des pas sur cette couverture blanche. Je m'imaginais dans les Alpes, entourée de ma famille, rentrant de la messe dans le noir de la nuit si mystérieuse, les petits fatigués qui commencent à s'endormir, l'un dans les bras du père, l'autre s'appuyant au bras de la grande sœur. Aujourd'hui il y avait seulement le petit Georges,qui n'était pas fatigué le moins du monde, au contraire, il ne cessait de dire à sa mère : « maman, je ne pourrais pas dormir cette nuit, c'est beaucoup trop grand ce qui s'est passé et trop important pour que je puisse dormir. Dieu est là dans la crèche, alors je ne peux pas le laisser tout seul.Et puis aussi, il y a tout ces paquets qu'il faut ouvrir ! » Il me faisait rire, tellement innocent. Et sa mère était d'une patiente avec ce petit homme : « Dieu sait que tu dois dormir et ne t'en tiendra pas rigueur si tu ne veille pas cette nuit à ses côtés. Quant aux cadeaux, on va attendre demain matin comme toujours ; quel exercice de patiente mon petit Georges,mais tu verras dans la vie tout n'arrive pas tout de suite. Il faut de la patiente et c'est aujourd'hui que tu commence à développer cette vertu. » J'aimais écouter ces discussions entre la mère et le fils, elle si éducative et douce,et lui attentif avide de ses paroles et de ses conseils. C'était un tableau attendrissant.

You've reached the end of published parts.

⏰ Last updated: Nov 24, 2019 ⏰

Add this story to your Library to get notified about new parts!

Le Paradis PerduWhere stories live. Discover now