Scène I

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Scène I - Le trublion

- Royaume d'Oren
19h48

Fracassante, la houle des vagues du port raclait les roches de la jetée. De la machine puissante jaillissaient des gerbes d'écume et effaçant le souvenir des bruyants remous, le courant tira loin du large la mer qui s'asséchait.

Les quelques passants rejoignaient leurs basses maisons de pierre alors qu'on faisait déjà bruler les premières bougies et lampes à huile sous les fenêtres.

Il disait que la lune brillait en bleu.

D'un pas léger mais perdu, il vagabonda dans les ruelles, salissant ses bottes de cuir d'une terre humide. Sans répit, pendant deux longues semaines, une pluie torrentielle s'était abattue sur les royaumes, et même si les paysans avaient vu là leurs prières exaucées et leurs champs irrigués s'épanouir de nouveau, lui avait du attendre que le soleil sourisse pour s'aventurer dans ces contrées lointaines.

Il était musicien. Il avait l'âme folle et les doigts dansants dans ses poches. Sa démarche sifflotante bien que déboussolée, suffisait à attirer les regards méfiants des cavaleries qui rentraient au palais pour relever la garde. Il était musicien, alors il était un homme libre. C'était toujours par elle qu'il se définissait, la liberté. Celle dont l'on faisait l'apologie, celle qui dans l'ombre ne tarderait pas à devenir allégorie.
Dans le dos des mousquetaires qui l'avaient pris de haut, il agita son bras dans les airs, lui faisant faire une pirouette. Son pied droit se croisa vers l'arrière et il s'inclina, retirant son imaginaire chapeau avec une pointe de dédain et beaucoup d'ironie.

Il prenait les nuages pour des moutons funèbres.

Son sourire s'éclaira de bleu quand ses dents blanches qui grisaient malgré les racines qu'il mastiquait à la bonne volonté de ses amants se dévoilèrent au voile de la nuit.
Ainsi, il se baladait dans la ronde des gens heureux et qui allaient rêver. Lui, il parcourait la capitale d'un oeil aveugle. Il connaissait son chemin, mais seulement de jour. Il fallait aussi dire que cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas mis pied à terre dans cette capitale.

Il avait plus l'habitude de celle du royaume voisin. Il l'a mieux connu, parce que c'était de là qu'il s'amenait. C'était entre des murs de bois, cachés dans les entrailles d'une forteresse plus petite mais plus puissante, qu'il avait grandi. C'était là-bas qu'il avait écrit ses premiers morceaux, qu'il avait eu ses premières inspirations. Ces mêmes qui l'ont conduites à se mettre à la solde du roi.

Il était un poète fou devenu petit soldat.

Il était devenu gardien de secrets qui auraient pu faire trembler l'humanité.
Pourtant, il n'aurait jamais cru ça possible. Mais voilà. Sa musique charmait les coeurs durs et les esprits battants. Les corps des pantins d'argent bâtis pour la guerre avaient dansé sous ses doigts caressant l'ivoire des épinettes. Il racontait des poèmes de notes, il jouait avec les morts et ceux qui étaient tombés. Il faisait tournoyer le fol espoir éphémère dans une douce cacophonie qui traumatisait les esprits. Une fois, un air bienveillant qui restait dans la tête, en second une valse à mille temps entre chaque saison. D'autres hymnes sèches qui craquaient les doigts et grinçaient les ongles, et qui engloutissaient les sentiments dans un vacarme colérique et hargneux. Parfois, l'orphéon transformé en ramage d'oiseaux d'été crachait ses pleurs.
Ces harmonies-là n'étaient pas pour les gens heureux.

Le roi fut conquis, il devint confident, et ami.
Dans le secret, il chanta un amour nouveau et de l'enfant princier, il dévora la vertu le premier.

Pour les affaires du roi, le voilà parti. Une mission de haute importance lui avait été confiée. Lui, le musicien de gargote qui ne brillait plus le soir.

Wolfgang Amadeus' Bastards || minbinsungTahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon