Chapitre 38 - Laurent

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Le chant des oiseaux me tire du sommeil. Je repousse la couette fleurie, m'assieds dans le lit et éteins le réveil « lumière naturelle et sons de la nature » que ma femme m'a offert à Noël dernier. Les chants d'oiseaux s'interrompent. Je quitte un rêve douillet. Ça faisait des années que je n'avais pas rêvé de mon grand-père et de son atelier. Pendant quelques instants, j'ai de nouveau 9 ans, j'explore les pots de peinture, les outils à bois, les toiles rangées à la hâte, je me remémore l'odeur de térébenthine et la poussière dans les raies de lumière...

J'allume le plafonnier, je suis seul dans la chambre. Je me souviens que ma femme est déjà partie au travail, elle m'a parlé d'un dossier d'appel d'offre à boucler ce matin.

De mon téléphone, j'ouvre les volets roulants de la maison et allume l'aspirateur robot. Je vais dans la salle de bain, met mon pyjama dans la panière de linge sale et me glisse sous la douche. Je règle la puissance du jet d'eau chaude, et me passe en revue mon planning de la journée.

Je vois un gros client aujourd'hui, à 160 kilomètres d'ici. J'ai l'habitude de faire de la route, et j'aime ça. Surtout que ma voiture de fonction est très confortable.

Mais avant, un café !

Je sors de la douche, enfile mon peignoir et me dirige vers la cuisine. L'écran de mon frigo m'indique la météo, beau temps mais gel, il faudra que je fasse attention. J'ouvre le placard du petit déjeuner pour prendre une dosette de café, mais le paquet est vide. Je l'enlève, le balance dans la poubelle, et cherche un paquet neuf.

Rien ! Merde, pourquoi on n'a plus de café ?

J'envoie un sms à ma femme, regarde dans la réserve – toujours rien – et jure à voix haute. J'ai besoin de mon café le matin, bordel. Ma femme me répond, elle me dit de regarder dans la réserve. Super. Merci !

Je grogne et fouille dans les placards à la recherche d'un pot de café soluble, n'importe quoi avec de la caféine dedans. Ah, enfin, je trouve une cafetière italienne et un demi-paquet de café ! Sauvé !!

Je mets de l'eau dans le réservoir, du café dans le filtre, et hop, sur la plaque induction. Pendant que ça chauffe, je vais m'habiller. Chemise blanche et pantalon noir, mon look est classique. Un commercial en voitures de luxe se doit d'être discret et classe. La seule fantaisie que je m'accorde est un mouchoir rouge dans la poche de ma chemise, petit truc appris avec mon mentor à mes débuts, pour accrocher l'œil et qu'on se souvienne de moi. Et ça marche plutôt bien.

Je ne sais si c'est le mouchoir rouge ou le fait que je suis encore bel homme pour mes 52 ans, mais je rencontre un certain succès dans mon métier, je convaincs sans effort ou presque. J'aime vendre ces belles voitures, j'aime accrocher l'intérêt d'un concessionnaire avec une option bien pensée, j'aime ces dîners et ces cocktails où j'échange quelques mots avec des élus ou des dirigeants d'entreprise. Bref, je me régale dans ce milieu, et il me paie bien.

Je vais dans la salle de bain où je discipline ma chevelure poivre et sel en la coiffant un peu vers l'arrière, comme Richard Gere dans Pretty Woman, et je passe un coup de rasoir électrique sur mes joues encore fermes.

Allez, mon café ! Je reviens dans la cuisine, et constate avec agacement que le couvercle de la cafetière se soulève et projette du café bouillonnant sur la plaque induction. J'éteins le feu, attrape cet engin de l'enfer avec un torchon et me sert un demi mug de café. J'y jette 2 sucres et bois une gorgée brûlante de ... arg... ce qui est censé être du café mais se rapproche plutôt d'un jus de chaussette bouilli.

Je jette l'éponge ! Je balance le mug, le torchon et la cafetière dans l'évier et attrape ma sacoche en marmonnant. Je sors de la maison, rejoins ma Bugatti Divo pendant que Marie, la femme de ménage, se gare avec sa Clio.

Chroniques d'un monde qui s'effondreWhere stories live. Discover now