Lettre de Anne à Gilbert - mardi 5 aout

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Charlottetown, pensionnat Blackmore

Mon cher Gilbert,
très cher à mon cœur.

Ta lettre a mis une semaine pour m'arriver. Je sais que Toronto est loin d'ici mais cela m'a semblé être la semaine la plus longue de toute ma vie. Quand on me l'a remise je n'ai pu contenir ma joie et j'ai dû me freiner jusqu'à ce soir pour la lire et la relire et te répondre en toute intimité.

Je dois t'avouer que j'ai demandé à Diana de garder le secret sur ce qui s'est passé ce fameux dimanche, non pas que j'en ai honte mais tu connais les filles de Avonlea... je les apprécie toutes sincèrement et elles sont pour moi de véritables amies mais elles ne me laisseront plus en paix lorsqu'elles l'apprendront. Et puis je voudrais éviter de faire de la peine à Ruby. Elle t'a toujours beaucoup apprécié.
Tu es donc dans mon jardin secret même si je doute que tu y restes longtemps car ma réaction devant ton enveloppe n'est pas passé inaperçue. Il me faudra être plus discrète la prochaine fois!

J'espère qu'à présent tu es bien installé et que les cours te plaisent. Je ne peux m'empêcher de penser que c'est à cause de moi que tu es à Toronto et non à la Sorbonne comme tu en rêvais. Diana me dit de ne pas penser comme cela. Je sais bien que c'est ton choix mais j'espère que tu ne le regretteras pas un jour. Que je ne serais pas celle qui t'a empêché de poursuivre ton rêve. Ne te méprends pas, je suis très heureuse que tu m'aies préférée à Winifred même si je ne comprends pas encore tout à fait pourquoi. Elle m'est tellement supérieure en tout. Lorsque je vous ai vus à la fête foraine, vous formiez un couple si heureux et si assorti que j'ai bien cru que mon cœur allait se briser.

Diana a vraiment bien fait de te sermonner dans ce train! J'avais en effet écris un rapide message que j'avais déposé sur la table de ta cuisine. La mère de Sebastian pourra l'attester. J'y avouais tout mon amour pour toi et espérais que ce simple mot t'empêcherait d'aller faire ta demande. En apprenant que tu étais parti à Charlottetown, j'en ai déduis que tu avais pris ta décision. Pleine de colère et de tristesse, j'ai déchiré ta lettre avant de la lire. Il semble donc évident à présent que je n'ai pas su remettre les mots dans le bon ordre.

Mais laissons cela de côté, et pensons au présent même si parfois je me demande si je n'ai pas rêvé. Mais tes mots que je tiens en ce moment dans mes mains et que je ne cesse de relire me prouvent que tout cela est bien réel. Ainsi donc tu m'aimes autant que je t'aime?

Excuse-moi d'avoir pris du temps pour m'en rendre compte et me l'avouer. Cela m'a parut soudain possible lorsque nous avions dansé ensemble en classe. Tu t'es révélé être un très bon danseur et tes yeux ne me quittaient pas. Je découvris que tu avais dans le regard une lueur que je n'avais pas encore observé. Oui, Gilbert Blythe, je t'aime et rien que de l'écrire me fait accélérer le rythme de mon petit cœur.

Ce dimanche de fin juillet a été encore plus extraordinaire que tu puisses l'imaginer. Bien que ta venue à l'improviste, ton baiser fougueux que je n'espérais plus et nos bafouilles impossibles me restent en permanence en mémoire et font un souvenir merveilleux, il s'est passé d'autres choses ce jour-là qu'il faut que je te raconte:
Marilla et Matthew ont cherché et retrouvé les traces de mon passé sous forme d'un livre. Ce livre de botanique est devenu mon objet le plus précieux car il contient des messages et dessins que mon père a laissé à l'attention de ma mère. Tu me connais et je sais que tu comprendras ce que cela signifie pour moi. Ma mère était institutrice, comme je souhaite le devenir! Mon père a écris dans ce livre l'amour qu'il portait à ma mère et à moi, il y a même dessiné son portait. Gilbert, je ressemble à ma mère! C'est d'elle que je tiens ce teint si pâle et ces cheveux roux que je détestais tant!

Ainsi, maintenant je sais qui je suis et d'où je viens. Je sais que mes parents se sont aimés et m'ont désiré. Qu'il se sont séparés de moi parce qu'ils se mourraient et non parce qu'ils ne voulaient pas de moi. Et cela compte beaucoup pour moi.

Gilbert, je suis si heureuse. J'ignorais que cela puisse être possible à ce point.
Mon cœur est extensible et il contient beaucoup de monde. Évidemment il y a mes parents, Marilla et Matthew, Diana... et toi, tu en occupes à présent une grande partie aussi.

Saches que tu es tout pardonné de ce que tu te reproches. Moi, je ne te reproche rien. Une nouvelle page se tourne. J'ai beaucoup de chance de t'avoir dans ma vie et je suis flattée que tu m'aies choisie. Toi aussi, tu es mon cadeau.

Je dois te laisser car j'ai dépassé depuis longtemps le couvre-feu. Je te souhaite plein de succès dans tes études. Tu seras un jour un bon chercheur ou un bon médecin. J'attendrais avec impatience ton courrier.
Je t'aime, Gilbert Blythe.

Ta Anne, avec un e.

Anne avec un e - Lettres et confidencesWhere stories live. Discover now