Chapitre 1

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Il était 5h00 du matin, une jeune femme de 21 ans restait plantée devant le parvis d'une maison bourgeoise. Albert, le majordome, la brusqua pour entrer par la porte des domestiques. La pluie tombait à grosses gouttes. Elle ne se fit pas prier davantage et passa l'entrée avec sa petite valise en cuir marron délavé de mauvaise qualité.

- Triple buse, tu aurais pu signaler ta présence plus tôt.

- Je ne voulais pas déranger, ma venue était prévue pour huit heures.

- Bon sang de bleu !

Albert en perdait ses mots.

- Jeanne va râler de voir son sol dans cet état.

Élisa, confuse, reculait d'un pas.

- Enlève donc ton manteau, tu ne vas pas rester comme ça.

Ni une ni deux, elle laissa découvrir une tenue simple et vétuste. Son hôte lui tendait des chaussons en signe de déchaussement. Elle obtempéra aussi vite.

- Vous êtes bien Miss Newjack ?

Elle acquiesça.

- Avez-vous perdu votre langue ?

- Non Monsieur, oui je suis Élisa Newjack. Je vous suis envoyée par Mme Fridget.

- Parfait, je suppose que vous connaissez déjà les tâches que vous aurez à effectuer.

- Oui Monsieur, cuisine ainsi que service des repas, et autres si jamais Mme Pick m'en donne le devoir.

Il semblait que la réponse le satisfaisait et il reprit la parole.

- Pour ma part je suis Mr Pick, mais appelez-moi Albert. Sachez que Monsieur et Madame reçoivent beaucoup. En plus de leur fille Cassandra, vous aurez souvent à les servir. Enfin la maison est plutôt bien fournie en personnel donc ne vous inquiétez pas.

Il la fixait de haut en bas. Elle grelottait à peine.

- Suivez-moi, votre chambre, comme toutes celles des domestiques, est au sous-sol.

Ses appartements se trouvaient quasiment au bout du couloir qui semblait interminable.

- Voici. Jeanne, Mme Pick viendra à votre rencontre sous peu.

Il ferma la porte et Élisa prit conscience que sa vie venait de prendre un nouveau tournant. Elle allait être au service d'une luxueuse maison. Ses années d'apprentissage allaient enfin être mises en pratique. Elle était satisfaite que Mme Fridget lui ait permis d'intégrer cet endroit. Il fallait dire que la jeune femme était orpheline et que cette vieille catholique de bonne famille, qui avait une école de formation des domestiques, l'avait prise sous son aile. Elle avait tout misé sur son petit oiseau blessé par la vie et ne voulait que son bonheur, à la hauteur de ce qu'elle pouvait lui offrir. Ce poste en l'occurrence. Elle allait troquer ses modestes vêtements pour un uniforme complet qui trônait au pied de son lit. À peine coiffée d'une dentelle, quelqu'un frappa à la porte.

- Oui ?

Avant même la fin de la réponse une quadragénaire passait le pas de la porte de sa chambre.

- Enchantée Mademoiselle Newjack.

Ces paroles étaient accompagnées d'un signe de tête pour appuyer les salutations.

- De même Mme Pick.

Élisa répondait par une révérence pudique qui fit sourire sa supérieure.

- Jeune fille, aujourd'hui comme tous les jours vous préparerez les repas de Mademoiselle Trend et des invités suivant : Mr Summerville, Mme Grace, Mr & Mlle Drich. Pour leur petit-déjeuner tout est écrit sur un tableau dans la cuisine. Si parmi eux, quelques-uns ne se présentent pas au déjeuner ou au souper, informez-vous et satisfaites-les. Soyez très attentive à leurs exigences s'ils en ont. Je reste à votre disposition pour toutes questions, sinon Maria ou Andy pourront vous répondre si je ne suis pas disponible. Tout est clair ?

- Oui Madame.

- Ah, j'oubliais, vous avez un jour de repos par mois, le 27. Il peut être modifié si je juge que l'équipe a besoin de vous.

- Certainement Madame.

- Bien, vous commencez dès maintenant, ne traînez pas.

Élisa était presque étonnée de l'autorité que pouvait avoir Jeanne alors que sa voix était si douce et posée. Elle observait un peu sa chambre en entendant les pas s'éloigner. Il s'y trouvait un lavabo juste à droite en rentrant, d'ailleurs il fallait éviter d'ouvrir en plein si on ne voulait pas le cogner. Au-dessus un petit miroir ovale. Lui faisant face une commode en bois massif acajou qui avait perdu de son éclat. À gauche de la pièce se trouvait un lit d'une place avec une petite table de nuit. Les meubles étaient simples mais raffinés. Elle avait la chance d'avoir un petit poêle pour se réchauffer. Un bougeoir trônait sur son meuble de chevet, dans le tiroir séparé en deux on trouvait un espace vide d'un côté et des bougies neuves de l'autre. Enfin juste en face de l'entrée, un bureau très sommaire juste en dessous de la fenêtre qui donnait sur le sol de la cour principale. Elle prenait ses marques. Elle finit par décider d'aller en cuisine, à l'endroit où Albert l'avait accueillie. En montant l'escalier elle ressentit l'effervescence du premier jour, elle n'avait jamais connu cela. Tous les domestiques commençaient leur journée à 5h30. Il était six heures, ne sachant pas vraiment où trouver les recommandations pour les petit-déjeuners, elle stagnait. Une des servantes la bouscula par inattention.

- Oh pardon, excuse-moi, je m'appelle Maria.

- Bonjour, c'est moi qui suis confuse, je suis Élisa, la nouvelle.

- Ah oui je vois, le tableau est là-bas. Tu y trouveras ce que tu cherches.

Elle repartit aussitôt lui adressant un clin d'œil.

- Bienvenue chez les Trend et Cie !

La jeune femme s'affairait à sa tâche. Une fois les invités servis à 7h30, elle se dirigeait à l'étage supérieur pour amener son repas à Cassandra. Elle frappait à la porte qui resta sans réponse. Une seconde fois, elle était gênée. Mme Jeanne passait dans le couloir et voyant l'embarras de la nouvelle elle lui fit signe d'entrer. Elle ouvra délicatement la porte et s'introduisit dans cette chambre quasiment noire.

- Mademoiselle ?

- Mmh.

- Votre petit-déjeuner.

- Moui, posez-le sur la table s'il vous plaît.

- Bien-sûr Mademoiselle.

- Ouvrez mes rideaux aussi s'il vous plaît.

Miss Newjack s'exécutait et resta à l'entrée attendant que sa maîtresse lui permette de disposer. Mais il n'en fut rien.

- Vous êtes nouvelle ? Papa m'a parlé de votre venue. Cassandra Trend, enchantée.

Elle lui tendait la main, Élisa vint la presser délicatement en faisant une révérence.

- Aidez-moi à m'habiller si ça ne vous dérange pas.

- Bien-sûr Mlle Trend.

Elle lui laça son corset sans trop serrer, suivant à la lettre les directives de sa maîtresse. Elle répétait jour après jour les mêmes gestes. Il était plus que rare qu'il n'y ait pas d'invité, ces jours-là c'était un peu morne. Sinon la maison était animée, certains convives étaient plus exigeants que d'autres. Quelques-uns séjournaient même à l'année chez les Trend, notamment les Herdrich.

Illusion d'antanWhere stories live. Discover now