17 - A.

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Quand nous revenons à la surface, nous débouchons dans un quartier industriel un peu délabré. De grands entrepôts de tôle nous entourent, et seules quelques personnes sont autour, donnant à l'endroit un aspect désertique. De plus, le ciel gris ne donne pas au quartier une atmosphère joyeuse, bien au contraire. Le peu de lumière renforce l'atmosphère lugubre et légèrement inquiète, je me tourne vers mon compagnon pour la journée :

- Euh, Keith...

Il m'adresse un sourire rassurant.

- Ne t'en fais pas. On est sur la bonne voie, dit-il en m'entrainant dans un passage étroit entre deux bâtiments.

Nous marchons quelques minutes en discutant. Le vent frais s'engouffre dans mes cheveux châtains, les faisant voler autour de mon visage. Je ramène les pans de mon gilet autour de moi en frissonnant. Décidemment, le temps anglais de cette fin de septembre est vraiment froid. Keith me propose son manteau mais je refuse. Je ne vais pas le laisser se retrouver en t-shirt ! Quoi qu'il en soit, nous continuons d'avancer en reprenant notre jeu des questions de ce matin.

Soudain, je remarque que Keith n'est plus à côté de moi. Je me retourne et le vois quelques pas derrière en train de chercher quelque chose dans sa poche.

- Qu'y a-t-il ? je demande en m'approchant de lui.

Triomphant, il sort de la poche de son long manteau noir un bandana.

- Qu'est-ce que...

- Je décide, non ? m'interrompt-il. Et comme je dois te surprendre autant garder la surprise jusqu'au bout.

- Comment ça ?

- Je vais te bander les yeux pour que tu ne voies pas où on va.

J'ai un mouvement de recul.

- Mais je ne vais pas voir où je mets les pieds ! Et si je tombe ? Et si...

- Arrête ! m'interrompt-il à nouveau. Je serais là ! Et puis je comprends pourquoi tu ne ressens jamais rien si tu te mets autant de barrières...

Piquée au vif, je m'approche d'un pas. Un pas légèrement trop grand qui m'approche trop près de lui. Il en profite et plie le bandana de façon à ce qu'il soit juste assez large pour me cacher les yeux. Il me contourne et se place dans mon dos. Doucement, je sens ses mains rassembler mes cheveux éparpillés par le vent. Il met délicatement le bandana en place sur mes paupières, ses mains effleurant parfois malencontreusement mon visage faisant battre mon cœur plus vite. Il se penche pour vérifier son travail et je perçois un peu de son odeur. Un mélange de savon, de café et de verveine qui me fait sourire. Il noue le bandana à l'arrière de ma tête.

- Ce n'est pas trop serré ? demande-t-il, la voix légèrement plus rauque que d'habitude.

- Non, ça va.

Il termine son nœud puis me prend la main gauche.

- Prête ?

- Seulement si tu es là, je réponds.

Je me sens rougir. Qu'est-ce qui m'a pris de dire ça ?

Je pense qu'il va rire, ou ignorer ma remarque, au lieu de quoi il murmure, faisant rater à mon cœur un battement :

- Toujours.

Puis j'entends un froissement de tissus et il se met en marche, me forçant à le suivre.

Au début, je suis un peu déstabilisée de ne rien voir et je n'ai qu'une peur, c'est de tomber ou de me prendre quelque chose et de me ridiculiser devant Keith. Mais sa main dans la mienne me guide et puis petit à petit, mes autres sens commencent à compenser un peu. J'entends des cris de joie. Des rires lointains. Une musique entrainante. Je sens de la nourriture, dont l'odeur légèrement écœurante est mélangée à l'huile destinée aux machines. Mon cerveau tente de comprendre où nous allons mais rien ne m'est familier.

Au fur et à mesure que nous avançons, tout devient de plus en plus présent. D'autres sons et odeurs s'ajoutent et je suis tellement concentrée à tenter de deviner que je manque de tomber. La main de Keith me retient, heureusement, et j'entends qu'il étouffe un petit rire, ce qui me fait soupirer. Génial.

Nous faisons encore quelque pas puis Keith m'arrête.

- On y est, dit-il.

- Où ?

- Enlève le bandeau pour voir.

Doucement, je soulève le bandeau qui m'obstrue la vue. Passé un premier moment d'éblouissement, mes yeux sont assaillis. Partout, il y a quelque chose à voir. Des gens qui vendent de la nourriture, des nuages roses sur des bâtons ... Des machines remplies de peluches... De grandes structures colorées qui ressemblent à des rails aériens... D'autres qui tournent... Et au milieu de tout ça, la foule qui va et vient. Des gens de tous âges, qui rient, crient et s'agitent, les bras chargés de peluches, de nourriture et autres gadgets.

- Où sommes-nous ? je demande à Keith, perplexe.


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