Une histoire de morceaux

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- Ça vous fera trente-cinq euros s'il vous plaît.

La femme d'une quarantaine d'années me tend la monnaie et je la remercie tout en lui donnant son géranium. Elle me sourit et se dirige vers la porte pour sortir. Je pose mes mains sur le comptoir, les bras tendus et baisse la tête en prenant une grande inspiration.

Je contourne la caisse et me rends dans l'arrière-boutique pour boire un verre d'eau, même s'il me faudrait plutôt un verre d'alcool, je pense. Je bois d'une traite le contenu du verre et retourne dans la salle principale. En ce moment, les commandes et les clients sont vraiment nombreux. Il se trouve que les mois de décembre et janvier sont les plus complets avec Noel et la nouvelle année. J'ai d'ailleurs passé Noel et le nouvel an seul. Maeh n'a pas été disponible pendant ces deux fêtes à cause de sa famille qui l'oblige à venir chaque année. Je sais qu'il aurait préféré être en boite ou avec moi mais, il n'a pas le choix. Il m'a proposé de venir avec lui dans la maison de ses parents, entouré de sa famille, mais j'ai refusé en prétextant un mal de tête. Ce n'est pas complètement faux puisque j'ai pas mal bu, seul, dans le noir de mon appartement.

Mais je vais mieux. J'ai beaucoup réfléchi et finalement, le célibat, c'est sympathique. Ma vie est bien meilleure telle qu'elle est maintenant. Je profite de ma solitude comme je le faisais avant l'arrivée de Milo.

Milo, lui, ne m'a plus donné de nouvelles et je crois qu'après une trentaine d'appels et de messages envoyés, je me suis fait une raison. J'ai même essayé d'appeler sa sœur et elle m'a dit qu'après les trois semaines suivant notre dîner, elle ne l'avait plus vu. Marilou m'a rassuré en me disant qu'il allait revenir, qu'il devait dormir chez un pote. Maintenant, je n'en ai plus rien à faire. Sans Milo, ma vie d'avant a repris son cours et je vois toujours Maeh, ça me suffit.

Mais, même si j'essaye de me convaincre du contraire, je passe mes nuits à espérer qu'il revienne et c'est donc avec deux ou trois heures de sommeil que je vais au travail. J'évite les miroirs comme la peste pendant mes jours de repos, seul chez-moi. Et sinon, je me passe du correcteur pour masquer mes cernes et redonner de la couleur à ma peau. Puis, je fais semblant. Parce que oui bordel, je me voile la face à faire comme si j'allais bien. Maeh l'a bel et bien remarqué mais il n'ose pas m'en parler et je lui en remercie. Je voudrais ne plus penser à Milo, mais mon cœur semble encore bien trop meurtri pour se soigner.

Alors, je bosse comme un dingue, je m'occupe pour ne plus penser à lui. Mais apparemment, ça ne fonctionne pas très bien puisque je suis en train de penser à lui en ce moment. Je secoue la tête pour me réveiller et accueille le nouveau client qui vient d'entrer.

- Bonjour et bienvenue à "A Fleur De Mots". Puis-je vous renseigner ?

- Bonjour Eden, j'aimerais te parler.

Je regarde la personne s'avancer vers moi et reconnais Marilou. Je sors de derrière mon comptoir et viens lui faire la bise. Habituellement, je n'aime pas cela, mais je voudrais ne pas jeter de froid de suite. Elle m'attrape par les épaules.

- Comment tu vas ?

Je lui réponds par l'affirmatif, mais elle semble ne pas y croire, alors j'argumente.

- Je t'assure Marilou, ça va. Je tiens le coup, c'est dur mais bon... On fait avec hein !

Je tente un sourire qu'elle me rend avec beaucoup de peine. Je continue.

- Mais dis moi, qu'est-ce qui t'amène ici ?

- Écoute Eden, il fallait que je vienne te voir, je pouvais plus garder ça pour moi. Tu as du temps de disponible ?

Je lui réponds que oui, on arrive bientôt à la fin de journée donc le monde commence à se faire rare. Je vais chercher un siège en plus pour qu'elle puisse s'asseoir et lui demande si elle veut boire quelque chose.

- Par contre, je n'ai que de l'eau ! Haha !

- Ne te dérange pas, ça va aller.

Nous prenons place autour de la caisse, je m'accoude au comptoir et l'écoute attentivement. Elle prend une longue inspiration.

- Je m'excuse pour tout ce que mon frère t'a fait subir. Je sais que ce n'est pas facile et je te comprends. Oui, je ne l'ai pas vécu, mais j'ai souvent vu cette tête.

- Quelle tête ?

- Celle que tu as. Cette tête fatiguée avec des cernes marqués couvertes de correcteur... Je l'ai souvent vu Eden. Milo a eu beaucoup de petits amis avant toi et si je me souviens bien, ils ont majoritairement tous finis dans le même état que toi.

Je ne comprends pas. Pourquoi aurait-il fait cela ? Je crois que Marilou remarque mon regard plein d'incompréhension puisqu'elle enchaîne.

- Milo, depuis tout petit, ne s'est jamais attaché aux gens, si ce n'est que pour une courte période. Il m'a pourtant dit que tu étais le bon, qu'il t'aimait et il semblait sincère pour une fois, je te le promets. Il ne m'avait jamais réellement présenté ses partenaires avant toi pendant un dîner. Je ne les rencontrais qu'en coup de vent et jamais de manière officielle. Alors, j'y ai vraiment cru cette fois et je l'ai laissé gérer. Alors, tu te doutes bien que je n'ai pas compris ce qu'il s'est passé et toi, encore moins.

Je retiens mes larmes qui menacent de couler sur le long de mes joues. C'est très dur à entendre, mais j'avais besoin de ça, d'éclaircissement. Je respire fortement pour me donner la force de continuer. Marilou le remarque et prend ma main dans la sienne. Elle me la serre doucement pour me témoigner son soutien.

- Je suis vraiment désolé Eden. Je suis franche mais honnête. Je ne veux pas te laisser comme ça. Je tiens beaucoup à toi, même si ça fait peu de temps que l'on se connait. Milo a toujours été comme ça et je n'ai jamais réussi à lui faire entendre raison. Je ne sais pas si ça l'amuse ou si juste, il ne s'en rend pas compte. Il a des moments où il part sans rien dire. Puis il revient, comme une fleur, des années après.

Je place mon poing devant ma bouche pour étouffer un sanglot. Je laisse échapper involontairement une larme.

- Alors, je veux que tu t'accroches Eden. Mais attends toi à ne plus le revoir... D'accord ?

Je hoche la tête même si j'espère toujours. J'avais bien dit que c'était trop rapide. Notre relation, tout. Mais j'ai bêtement cru au coup de foudre. Quel con ! J'aurais dû écouter Maeh...

- Crois moi Eden, n'espère plus et avance. Il fait, à chaque fois, voler en éclats la vie d'une personne et c'est toujours moi qui ramasse les morceaux. 

LE PARFUM DES COEURSWhere stories live. Discover now