00. LANA

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♫ daniel seavey – can we pretend that we're good ?

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Je tombe.

Et dès que cette pensée me traverse l'esprit, je me sens perdre de la hauteur. Sa main droite glisse le long de ma jambe, mon bras n'est plus assez tendu pour soutenir mon corps en apesanteur. C'est trop tard. Son contact tente de se raffermir pour me rattraper, j'ai beau gainer, en vain. Je m'écroule au sol. Encore une fois. Putain de merde.

Je le vois s'approcher de moi, penaud. Je l'ignore et soupire, agacée. Je tente de garder mon calme. Je ravale ma fierté et me relève aussitôt, prête à recommencer. Encore et encore. Jusqu'à ce qu'on finisse par y arriver parfaitement. On a toujours fonctionné comme ça, Ben et moi. On travaille sans relâche, parfois sous la pression, mais jamais on n'abandonne. Alors, sans rien dire, il se replace derrière moi. Ses mains se posent sur mes hanches. Je me cambre, me hisse sur la pointe des pieds, pour l'aider à me porter. Au bout de quelques secondes, il parvient enfin à me soulever, doucement, tandis que mes jambes se replient vers ma poitrine.

Ce porté, nous le travaillons tous les deux depuis des mois maintenant. C'est celui qui vient clore notre variation, elle aussi peaufinée dans les moindres détails depuis un certain temps. Variation que l'on compte présenter pour l'audition du conservatoire, prévue pour le mois d'avril. Ce serait mentir que de dire que Ben et moi ne nous préparons pas assez sérieusement pour cela. Je connais chaque pas de cet enchaînement sur le bout des doigts. Chaque mouvement est ancré dans chacun de mes muscles, qui les reproduisent ensuite, tels des automatismes. Et la moindre petite erreur n'y a pas sa place. Car il faut que tout soit parfait. Alors, lui comme moi sacrifions notre temps libre sans cesse répéter nos passages respectifs et ceux en commun.

Concentrée sur les fluctuations de nos deux corps, je me crispe soudain. Je sens qu'il y a un problème, ça ne va pas. En temps normal, Ben me porte, j'effectue un grand jeté dans ses bras puis il me fait tourner. Habituellement, nos corps se meuvent dans l'espace, gracieusement, presque trop facilement. Ils s'enlacent en toute harmonie sur le parquet jusqu'à ne former plus qu'un. L'apothéose du tableau proposé par notre variation. Sauf qu'aujourd'hui, ce n'est pas comme d'habitude. Je le sens. Et ça ne me plaît pas. Je n'aime pas ça. À vrai dire, je déteste lorsque tout n'est pas parfait. Lorsque quelque chose échappe à mon contrôle. Lorsque quelque chose ne se déroule pas comme je l'aurais souhaité.

Là, je sens que ses appuis ne sont pas stables. Son corps n'est pas assez gainé. Ses mouvements ne sont pas assez fermes. Il n'arrive pas à me porter. Ben gémit de douleur, me lâche et me repose immédiatement au sol. Je le vois ensuite masser son poignet endolori du bout des doigts.

— Pause ! crie-t-il, essoufflé, les mains posées sur les genoux.

Je soupire et vais chercher ma bouteille d'eau. Ce n'est pas en s'arrêtant toutes les dix minutes, qu'on va la mener à bout cette choré. Mais bon. Je laisse faire et en profite pour me réhydrater par la même occasion. C'est bien parce que c'est lui que je ne dis rien. Parce que c'est mon partenaire depuis tant d'années, que notre relation est différente et parce qu'il fait partie des rares personnes que j'arrive à supporter. Et puis surtout, aussi parce que j'ai vraiment besoin de lui en forme. Alors, je suis prête à quelques efforts. L'eau fraîche coule le long de ma trachée. J'avale quelques gorgées, puis repose ma bouteille dans mon sac avec mes autres affaires. Puis, le voyant retourner au centre de la salle, je le rejoins et me replace dos à lui, dans ma position initiale. Celle juste avant que le porté ne débute. Je sens ses mains se reposer sur mes hanches, cherchant ses appuis.

Dancing Our Fears [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant