XXXII - De violents sentiments (1835)

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    Alors que j'allais pour retrouver Paloma, quelle ne fut pas ma surprise de la découvrir accompagnée ! Elle bavardait avec Juanca comme si de rien n'était. Cette saleté d'imprimeur ! Je ne voyais pas ce qu'elle lui trouvait à ce petit homme replet, avec ses paupières lourdes et sa bouche ornée d'un gros grain de beauté. Il n'était pas plus intelligent qu'elle, il connaissait seulement son affaire d'imprimerie, celle-là même qui fascinait Paloma. Et le monde, sans doute mieux que la plupart des gens du village. Lorsque je les surpris, elle se confondit en excuses.

– Vous n'avez rien à faire ici. Déguerpissez.
– Elle n'est pas commode ta tante, marmonna l'imprimeur.
– Tante ? m'écriais-je.

Nous n'avions que trois ans d'écart... Paloma indiqua d'un geste de la main de me retourner.

– Si c'est une pathétique tentative de me distraire, Paloma...
– Non regarde ! Salva traîne Asun... Il a l'air furieux, madre de Dios !

Je me tournais. Effectivement, Asun, droite et fière, se faisait pourtant tirer son bras, prisonnier de la poigne de Salva. J'abandonnais Juanca et Paloma après avoir menacé celle-ci de traîner moi-même son prétendant à renfort de coups de pieds dans le derrière. Je les suivais lentement, mais je devinais qu'ils se rendaient dans un patio couvert où ils avaient l'habitude de jouer lorsqu'ils étaient enfants. Une fois dans la pièce, je me cachais derrière un pilier. La lumière était rendue bleue et verte par les vitraux qui formaient une coupole au-dessus de leurs têtes. Salva lâcha le bras d'Asun. Tous deux se regardaient. Salva, très agité, il ne cessait d'aller et venir du mur jusqu'à elle.

– Mon père, ce traître à l'Espagne ! s'exclama-t-il.
– Ne parlez pas si fort. Après tout, vous n'êtes guère d'accord avec Fernando sur le sujet non plus et...
– Que comprenez-vous à la politique ? coupa Salva.
– Ne puis-je avoir une opinion Salva ? s'étonna-t-elle.
– Comment mais vous avez tous les droits à ce qu'il parait ! s'exclama Salva avec énergie. Vous parliez à mon père comme si vous... Comme si vous...
– Mais qu'avez-vous à trembler de la sorte ?
– Je ne tremble pas, s'obstinait Salva en serrant les dents.
– Avez-vous pris froid à toujours être dehors ? s'inquiéta Asun, et ce faisant, levant la main vers lui comme pour toucher sa main.
– Je ne vous permets pas une telle familiarité, maugréa-t-il en guise de réponse.

Asun se recula d'un pas, ne voulant pas l'agacer davantage. Je pouvais voir que son visage, baignée dans la lumière de la lune, était tourné vers Salva comme cherchant à décrypter le mystère de sa rage.

– Dites-moi Salva, êtes-vous en colère contre votre père ou contre moi ?
– Asun ne faites pas l'innocente, coupa Salva en se rapprochant d'elle. Vous dansiez avec lui comme une... Comme une...

Il ne parvenait pas à trouver ses mots, chose qui paraissait tout à fait extraordinaire quand on le connaissait. Il n'était guère bavard, mais il avait de l'éloquence. On pouvait compter sur lui pour toujours avoir le dernier mot. Il semblait être sous le coup d'une vive émotion et parvenait difficilement à gérer sa colère, ce qui s'en ressentait dans cette discussion.

– Salva vous êtes insupportable à la fin ! s'agaça la jeune femme. Vous ai-je accablé de reproches lorsque vous dansiez avec Rosa ?
– Je ne saisis pas le rapport, prétendit immédiatement Salva d'un ton sec.
– Vous êtes bien le seul, répliqua Asun.
– Quelle rage soudaine dans votre regard ! Et quelle vivacité dans vos propos, ajouta Salva, moqueur. Seriez-vous jalouse ?
– Je ne vous reproche pas d'avoir dansé avec une autre, fit Asun d'un ton calme. Je vous reproche votre interdiction absurde, celle que vous m'avez faites en m'arrachant à nos invités.
– Danser avec cet homme, Asun, je vous l'interdis formellement en effet. Et si vous aviez un peu de morale, vous ne vous abaisseriez pas à prendre son bras.
– Mais Salva, il est un ami de cette famille, il est votre père ! s'étonnait Asun.
– Comment pouvez-vous vous abaisser à danser avec cet... Ce...

Las Cenizas del RíoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant