Chapitre 27

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Lena et moi sommes encore sur la terrasse où Simone vient de nous laisser. Il nous reste encore quelques minutes de pause, alors vaut mieux en profiter.

— Putain, dégage, mec ! Tu pues !

Je regarde soudain derrière moi. C'est un sans-abri qui se fait engueuler par un client du bistrot. Les gens peuvent être tellement mauvais parfois, songé-je en soupirant. Lena siffle pour interpeller le jeune homme. Dès que l'individu remarque les appels de main insistants de mon amie, il avance presque avec crainte. Elle extirpe un billet de cent dollars de son portefeuille et le lui tend. Ce dernier écarquille les yeux, sa bouche également. Il bafouille.

— Vous n'allez pas vraiment faire ça, madame...

Je n'aurais jamais pensé qu'elle était du genre à partager sans compter. Elle réitère son geste de lui donner le billet. Dès qu'il l'a frôlé, elle le lui soutire et le pointe du doigt.

— Jure-moi que tu ne t'en serviras pas pour te droguer.

— Je le jure, dit-il en levant vivement sa main gauche. Je vais acheter à manger pour moi et mes amis là-bas.

— Cool, je te fais confiance.

Elle lui pose donc le billet dans la main. Il se confond en remerciements, les yeux embués. Elle se contente d'un joli sourire. Je fouille rapidement mon portefeuille et trouve un billet de dix. J'hésite à le lui donner à cause de la somme qu'il a déjà reçu des mains de Lena.

— Je n'ai que ça...

C'est le geste qui compte, j'imagine.

— Non, c'est vraiment énorme, merci beaucoup, mesdames.

Il s'en va en courant avec enthousiasme de l'autre côté de la rue ; de mon côté, je me remets face à ma collègue. Elle vient de me donner une belle leçon d'humilité.

— C'est très gentil de ta part.

Elle hausse les épaules.

— J'aurais aimé que des gens fassent ça pour moi lorsque j'étais dans sa situation.

D'apprendre cela me surprend tellement que les mots ne me viennent pas instantanément. Mais puisqu'elle a abordé le sujet d'elle-même, je décide d'assouvir ma curiosité, avec un timbre affectueux :

— Tu étais à la rue ?

— Oui, dit-elle confuse. Je ne t'en ai jamais parlé ? Miller est au courant, pourtant.

— Disons que vous passez beaucoup de temps ensemble dernièrement, la taquiné-je.

Son sourire illumine son visage.

— Et il continue de me faire croire qu'il me déteste, dénonce-t-elle, incrédule, en levant les yeux au ciel.

Sacré Miller. C'est clair qu'il l'apprécie. Peut-être même plus que ce que j'imagine.

Elle boit la dernière rasade de son cocktail.

— Pour revenir au premier sujet, oui, j'ai été à la rue. Pendant cinq mois, m'apprend-elle. C'est arrivé quand je suis tombée enceinte et que ma mère m'a virée de la maison.

Deuxième surprise.

— Tu ne m'as jamais dit que tu étais maman.

— Parce que j'ai perdu l'enfant...

Oh...

— Je suis sincèrement désolée...

— J'étais trop jeune, dit-elle en haussant les épaules, songeuse. Et mon copain de l'époque ne voulait plus de moi. C'était peut-être un coup de pouce de l'Univers.

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