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Je comptai me déplacer jusqu'à Baker Street pour déposer moi-même la lettre – le service de poste, en temps de guerre, n'étant pas des plus fiables – mais tombai sur Wiggins en cours de route qui se chargea de la course avec plaisir, m'évitant la possibilité de me retrouver face à face avec Holmes.

Je déambulai dans les rues, sans destination particulière. Le jour déclina de nouveau. Il s'était remis à neiger. Sur un place publique, un groupe d'enfants chantait en chœur. Avec détachement, je me rendis compte que c'était bientôt Noël. Un homme vendait des marrons chauds, son brûlot installé directement dans les ruines qui débordaient sur le trottoir. L'odeur me suivit longtemps, alors que je quittai les grandes avenues.

Je marchai encore de longues minutes jusqu'à trouver une ruelle déserte, tapissée de gravats. Je m'assis sous un porche sans porte et attendis, le dos collé à la pierre froide. Ils n'allaient plus tarder.

Dans mon esprit dansaient des mots vides, des phrases sans le moindre sens et des visages éteints, fanés. Je laissai définitivement tomber la barrière qui me séparait de mes souvenirs. La ruelle morte se peupla de cadavres intangibles. Non loin de là sonna la cloche d'une chapelle au toit écroulé. Un homme gisait dans la boue, sans tête, sans visage. Une femme se tenait au loin, immobile, si belle dans sa robe blanche. J'avais tant et tant essayé de ne plus penser à eux.

Je clignai des yeux. La ruelle était vide. J'explosai en sanglots.

Je pleurai longtemps sous ce porche. Je pleurais tous ceux que je n'avais pas correctement pleuré, je pleurais pour la guerre, pour ma vie arrachée, pour James, pour Mary et pour mon amitié avec Holmes, déjà achevée. Je pleurais de me sentir si faible et si lâche, si coupable, si humain, si vide et si vulnérable. Je pleurai pour ce qui ne sera plus et ce qui n'avait jamais été. Je pleurais et le ciel pleurait avec moi, des larmes légères qui dansaient dans les airs et se posaient sur le sol en étouffant tous les sons, en effaçant le monde et en glaçant ma peau. Je pleurai jusqu'à ce que mon cœur s'assèche, enfin, et que pleurer n'ait plus de sens.

Tout était si calme, à présent. Si paisible.

Quelques minutes plus tard – ou quelques heures ? – une ombre s'étendit sur mon visage. Deux hommes vêtus de noirs. Peut-être les mêmes qui m'avaient enlevé à mes parents, si longtemps auparavant ? C'était fort improbable, mais la pensée s'imposa tout de même.

Aucun mot ne fut prononcé, ni de ma part, ni de la leur. Je les suivis sans faire d'histoire jusqu'à l'Ascenseur, dont la plupart des cabines étaient condamnées. Nous montâmes lentement, nous arrachant à la terre pour sombrer dans le rouge du ciel mourant, que je contemplai en silence.

Puis nous nous arrêtâmes, un étage avant Buckingham. Les gardes me poussèrent pour me faire avancer.

Le club Diogène n'avait pas changé depuis ma dernière visite. Le temps s'y mouvait toujours au ralenti, épais, gluant, glissant sans le moindre bruit dans le hall vide où patientait un majordome qui tenait plus de l'ombre que de l'homme.

— Je m'en occupe, déclara-t-il d'une voix atone en tendant à mes gardes un petit plateau d'argent. Mycroft Holmes l'attends.

Celui qui avait pris mes sabres les déposa, rétractés, sur le plateau. Puis ils firent volte-face et m'abandonnèrent là, en compagnie de cet homme au regard éteint qui me fit signe de le suivre avant d'avancer d'un pas raide, son plateau posé au creux de sa paume ouverte. J'aurais certainement pu me saisir de mes armes, à ce moment-là, mais l'envie de me battre m'était définitivement passé. De toutes façons, les sorties devaient être gardées.

Distrait, je ne remarquai que nous avions atteint la bonne porte que lorsque mon guide l'ouvrit. J'entrai.

Mycroft Holmes se trouvait derrière son bureau. Mon arrivée lui fit lever la tête, surprit.

Une étude en rouagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant