Chapitre 3 (Gabriel)

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Le premier jour des classes est interminable. Heureusement, j'ai eu deux cours en commun avec Sarah, ce qui a eu le mérite de me détendre un peu. Ma sœur est douée pour chasser mes mauvaises ondes, quand ce n'est pas elle qui les attise. Anita s'avère être une fille sympa, même si je ne comprends pas son désir de me coller au train. À partir du moment où elle a commencé à se lier d'affection avec Sarah à la pause déjeuner, s'en était fini de moi. Je vais devoir me la coltiner, mais ce qui m'intrigue, c'est de savoir pourquoi elle n'a aucun autre ami à part nous. J'ai la sensation que le joueur de basket au sourire de con y est pour quelque chose... D'ailleurs, il est grand temps que je trouve des surnoms à cette bande de petits branleurs. Le type au nez cassé s'appellera Crâne Rouge, le pote d'Anita sera le Joker et celui qui aime me mater avec un air de défi sera Kilgrave. Voilà comment constituer une belle brochette de super-vilains !

— Gabriel, c'est ça ?

Quand on parle du loup... Pourquoi faut-il que Sarah traîne autant après les cours ? Je l'attends depuis déjà dix minutes devant ma caisse et elle sait parfaitement que patienter n'est pas mon point fort. Je devrais me casser de là et la laisser se démerder à pied, cela lui apprendra à être à l'heure ! Je ne tourne pas mon regard vers Kilgrave et continue de jouer avec mes clefs en les lançant pour les rattraper inlassablement.

— Tu n'es pas très causant, surenchérit l'autre face à mon ignorance.

— Seulement avec ceux qui me les brisent.

Je suis cru dans mes mots, mais avec certaines personnes il faut se montrer mauvais pour qu'elles nous foutent la paix. Je réceptionne à nouveau mes clefs en plein vol avant de sortir mon paquet de cigarettes. Ce con me donne envie de fumer.

— Je peux savoir ce que je t'ai fait ?

Bordel, il ne va jamais me lâcher ?! J'inspire une longue bouffée de nicotine à l'intérieur de mes poumons, espérant me calmer de cette façon. J'ignore pourquoi je suis une boule de nerfs depuis ce matin, mais sa manière d'insister ne m'aide pas à m'apaiser. Après avoir soufflé la fumée, je finis par planter mes yeux d'acier dans les siens.

— J'ai une meilleure question : qu'est-ce que tu me veux ? T'as pas mieux à foutre ? Tes super potes de branleurs doivent t'attendre.

— Ils ne sont pas aussi mauvais que tu le penses, les défend-il, ce qui a pour effet de m'arracher un sourire moqueur.

— Bah voyons ! Je n'en ai pas gardé de bons souvenirs et je crois qu'Anita non plus.

Il se braque à l'entente du nom de cette dernière et je me demande quel est le fond de cette histoire. Non Gab, tu ne veux rien savoir, ce n'est pas ton foutu problème ! T'as déjà assez à faire à t'occuper de tes fesses et de celles de ta sœur pour en rajouter une paire.

— Est-ce qu'on pourrait se boire un verre ? Juste tous les deux. Donne-moi l'occasion de te faire changer ton ressenti sur l'équipe.

Je me demande s'il se fout de moi ou s'il s'agit d'un piège. C'est quoi son problème au juste ? Tout le monde doit l'aimer pour qu'il soit satisfait ? Redescends sur Terre mon pote, toi et moi on ne sera jamais amis. T'as grillé tes chances la nuit de notre rencontre. Ces mots, je m'entends les prononcer et pourtant ils restent coincés en travers de ma gorge. Je n'apprécie pas la façon qu'il a de me regarder, ça me met mal à l'aise. Par chance, Sarah arrive à ce moment-là et m'empêche de passer pour un abruti. Ses lèvres se collent sur ma joue pour y déposer un gros baiser baveux, comme je les déteste, et elle adresse ensuite un signe de main à mon interlocuteur.

— Salut Raphaël ! C'était super ta soirée de samedi, même si je n'en ai plus beaucoup de souvenirs !

Tu m'en diras tant... J'enverrai bien des éclairs vers Sarah avec mes yeux, mais je bloque sur ce prénom que je découvre enfin. Kilgrave lui correspond mieux. Je n'entends même pas la réponse de ce dernier. Seul le bruit de la portière qui claque me ramène à la réalité et Raphaël continue de me fixer, en attente d'une réaction.

— Quoi ? répliqué-je avec véhémence.

— T'es d'accord pour ce soir ?

Une fois de plus, je n'ai pas le temps de l'envoyer paître, ma sœur appuie sur le klaxon pour me rappeler qu'il est l'heure de partir. Je patiente depuis quinze foutues minutes et elle ose faire sa diva ?! Un jour, je finirai par l'étriper...

— Ouais ouais, je dois y aller là.

Je balance ma clope sans aucune pensée pour l'écosystème et rentre dans ma caisse pour déguerpir de ce maudit parking. Il me faut une bonne minute pour réaliser que j'ai dit oui à Raphaël... Bordel ! Pourquoi ai-je fait une chose pareille ?! C'est à cause de Sarah ! Cette idiote ne m'a pas laissé le temps de réfléchir et j'ai répondu à la va-vite juste pour me débarrasser de lui. Est-ce qu'il m'en voudra si je ne me pointe pas ? Est-ce que j'en ai quelque chose à faire ? De toute façon, la question est vite réglée quand je réalise qu'il ne m'a donné aucune adresse où le retrouver. Je n'aurais pas à me tracasser la tête pour ce soir.

— Alors, t'as changé d'avis sur le capitaine de l'équipe ou t'avais juste envie de le contempler sans moi ?

— Ferme-la...

Elle rit devant mon agacement et comme toujours -ou presque-, ce son attise un sourire sur mes lèvres. On a vécu tellement de merdes elle et moi que c'est plaisant de l'entendre pouffer avec sincérité.

— Anita m'a dit qu'elle avait capté des étincelles étranges entre vous.

— Ça devait être le moment où j'essayais d'allumer mentalement un feu dans son cerveau.

Un nouveau son cristallin lui échappe et il lui faut plusieurs secondes pour se calmer. Une fois le silence revenu dans l'habitacle, j'en profite pour augmenter le volume de la radio, appréciant la mélodie One, de Three Dog Night crachée par les enceintes. Nous ne sommes qu'à la moitié du trajet quand le téléphone de Sarah se met à vibrer. Ma curiosité mal placée me pousse à essayer de capter le nom du destinateur, mais pour ne causer aucun accident, j'abandonne rapidement et me reconcentre sur la route. Un sourire prend forme sur ses lèvres avant qu'elle lève son regard vers moi et me fixe étrangement.

— Quoi ? dis-je avec agacement.

— Raphaël m'a demandé de te transmettre une info : rendez-vous à 21h au Code Bar. Je ne sais pas pourquoi, mais il pense qu'on est ensemble. Il t'a appelé « mon copain », termine-t-elle en mimant des guillemets avec ses doigts.

À quel moment le cerveau de ce détraqué a pu imaginer que je sortais avec ma sœur ? Personne n'a dû lui dire qu'on est du même sang, mais quand même ! On se ressemble un peu, non ? Je croise le regard de Sarah. Ses yeux sont d'un bleu céruléen, les miens ont une couleur acier. Ses cheveux sont châtain clair et brillent de mille feux, les miens sont foncés et tirent vers le noir. Les traits de son visage sont doux alors que je suis un bloc de glace. En plus de tous les changements physiques effectués sur mon corps, il devient difficile de remarquer des ressemblances entre elle et moi.

— Mon frère a rendez-vous avec le capitaine de l'équipe... J'ai envie de le crier sur tous les toits ! s'exclame-t-elle comme une enfant.

— Redescends sur Terre, je n'irai pas.

En une seconde, la joie de ma sœur disparaît et elle m'envoie toute sa colère à travers un regard et une lèvre retroussée. Putain, elle fait flipper... Devant cet air dangereux qu'elle affiche, je comprends que je suis foutu. Sarah ne me lâchera pas la grappe tant qu'elle n'aura pas la certitude que je me pointerai à ce rendez-vous. Ma vie est un enfer.

Primitif [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant