Chapitre 6 (Raphaël)

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Sarah est sa sœur ?! Je n'arrive pas à le croire... Pourquoi est-ce que je n'y ai pas songé plus tôt ? Peut-être parce qu'ils débarquent ensemble dans la même université, la même année et qu'ils n'ont aucun trait de ressemblance. Sarah est belle, mais un peu trop banale à mes yeux, alors que Gabriel est... Je préfère ne pas mettre de mots sur ce que je pense à son sujet.

— Pourquoi est-ce que tu ne me l'as pas dit plus tôt ?

— Tu ne m'as pas posé la question.

— J'ai évoqué Sarah comme étant ta copine et tu n'as pas cherché à me corriger.

Il réfléchit et se contente de hausser les épaules en guise de réponse. Quoi, c'est tout ? Il ne s'en souvient même pas ? Pourtant cela change tout à mes yeux. Ce ne devrait pas être le cas, mais je ressens un agréable sentiment de soulagement.

— Copine ou petite sœur, on s'en fout. Le plus important à savoir, c'est que Sarah Atkins est intouchable.

— Je ne suis pas sûr qu'elle soit d'accord avec cette règle, je me moque gentiment et m'amuse de la grimace qu'il affiche.

— Dans ce cas, je vais devoir l'enfermer à double tour dans sa piaule et la ligoter.

Rien que cela ? Cette fois, c'est un rire sincère qui m'échappe. Je ne sais pas pourquoi Gabriel est aussi protecteur avec sa sœur, peut-être que c'est un devoir que s'imposent tous les grands frères, en tous cas je trouve cela cocasse. Je sens que Sarah n'a pas fini de lui en faire voir de toutes les couleurs.

— De mieux en mieux, après le bagarreur faites place au kidnappeur ! Tu commences à dresser un sérieux profil de psychopathe.

— Est-ce que ça t'effraie ?

Il s'arrête dans sa marche, me poussant à faire de même pour rester à sa hauteur. L'intensité qui émane de son regard est perturbante. Il me fixe sans cligner des yeux. Les commissures de ses lèvres s'étirent lentement en un sourire de fou furieux. Je déglutis et refrène mon envie de lui demander, non, de lui exiger de m'enlever et me ligoter à son lit sur le champ. Tu perds les pédales Raphaël, ressaisis-toi !

— Je devrais ?

Je ne sais même pas si je souhaite qu'il me réponde par la positive ou la négative, mon cerveau est en plein bug. Le masque du parfait psychopathe disparaît des traits de Gabriel qui reprend une mine sombre et sérieuse. Puis il hausse les épaules et poursuit sa marche. Il faut vraiment qu'il arrête de faire cela !

— Message reçu, je ne te laisserais jamais attraper un truc tranchant ! plaisanté-je en le rejoignant.

— Tu n'imagines pas ce qu'il est possible de faire rien qu'avec un stylo.

Mon esprit pervers aurait aimé que la chute de sa phrase soit différente, mais je dois me faire à une tout autre réalité : Gabriel est névrosé. Ses délires devraient m'effrayer plutôt que de m'attirer, mais j'ai du mal à penser qu'il puisse être violent. C'est idiot, je l'ai vu se battre devant moi et s'en donner à cœur joie, mais je refuse de m'arrêter à cette image. Il n'est pas aussi dangereux qu'il veut le faire croire. Ce n'est qu'une carapace pour ne laisser personne l'approcher.

— Est-ce que ton dos est douloureux ? m'interroge-t -il avec une once d'inquiétude que je ne lui connaissais pas.

L'espace d'un instant, je me demande pourquoi il me pose la question, puis je me souviens de sa prise qui m'a envoyé dire bonjour à l'asphalte. Mon échine en a gardé quelques marques, mais rien d'irréversible. Wesley est le plus à plaindre dans l'histoire.

— Non, je vais bien.

Je le remercierai bien de s'en faire pour moi, mais je crains qu'il se braque, alors j'opte pour une autre approche.

— Où as-tu appris à te battre ?

Finalement, c'est peut-être cette question que j'aurais dû m'abstenir de lui poser, car je vois ses yeux s'assombrir et j'ai l'étrange sensation que de douloureux souvenirs remontent à sa mémoire. J'aimerais pouvoir les chasser, mais je ne peux que l'observer en m'interrogeant sur ce qu'il a bien pu vivre par le passé.

— J'ai appris par mes propres moyens. On n'a pas tous grandi dans une prison dorée.

Outch ! Pourquoi se met-il automatiquement sur la défensive quand quelque chose ne lui plaît pas ? Il aurait pu simplement ignorer ma question, s'il ne souhaitait pas y répondre, pas besoin de m'envoyer des piques. Je conçois que Gabriel ait pu souffrir, tout son être le hurle même si sa bouche reste close, mais il n'est pas le seul à porter un fardeau.

— Tu ne sais rien de ma vie, monsieur je conduis une Bentley et me permets de juger les autres.

Je vois ses poings se fermer et sa mâchoire se crisper. Il a l'intention de me cogner maintenant ? Ce n'est pas parce qu'il m'a surpris une fois que je compte le laisser m'envoyer au tapis à chacune de nos soirées. J'ai une réputation à conserver !

— Il en faut si peu pour t'énerver ? surenchéris-je, sans trop savoir ce qu'il me prend.

Au fond, je crois que j'ai envie de le voir exploser, pas avec ses poings, mais avec ses lèvres. Je veux l'entendre me dire pourquoi il déteste et critique tout le monde. Gabriel a eu des a priori sur l'équipe de basket dès l'instant où il a croisé notre route. D'accord, il souhaitait préserver sa sœur, mais quand même, il n'a pas cherché à faire des efforts depuis.

— T'es devenu muet ou quoi ?!

Finalement, c'est moi qui explose. Je le provoque ouvertement alors qu'il tente de se contenir, mais au bout d'un moment, les barrières lâchent et la bête quitte le foyer. Il s'élance sur moi et me renverse au sol. Nos corps roulent dans le sable quand chacun essaie d'imposer sa dominance sur l'autre. C'est lui qui l'emporte, bloquant mes poignets près de mon visage et enfonçant ses yeux d'acier dans les miens. J'ai l'impression que son regard me transperce, mais c'est plus de la tristesse que de la haine que j'y décèle.

— Je ne suis pas riche, dit-il d'un ton calme qui me déstabilise. Cette voiture, je l'ai volée à mon père avant qu'il me déshérite. S'il a décidé de ne pas envoyer les flics à ma poursuite, c'est uniquement parce qu'il espère pouvoir récupérer Sarah.

La douleur dans ses mots me percute en plein cœur. J'ai l'impression que ce qu'il vient de me dévoiler n'est que la surface de l'iceberg et qu'il cache bien d'autres secrets. Pour la première fois, j'ai peur de ne pas être prêt à encaisser ce qu'il pourrait me raconter de plus, mais Gabriel s'arrête là. Je sais que je n'aurais pas accès à davantage d'informations aujourd'hui. Mes mains sont libérées de sa prise et il s'assoit sur le sable, juste à côté de moi. Je ne me redresse pas, profitant de cette position pour admirer tantôt le ciel étoilé, tantôt son visage.

— Tu aimes décidément un peu trop me plaquer au sol...

Ces mots me permettent de briser la glace. À la base, je comptais balancer quelque chose de plus poétique, mais cette remarque m'a échappé. Même de profil, j'aperçois un rictus éclore sur ses traits. J'ai réussi à faire sourire Gabriel Atkins après un excès de colère ! C'est à noter en rouge et gras dans les annales.

— Ce n'est pas de ma faute si tu aimes te faire dominer.

Visiblement, c'est à son tour de laisser ses lèvres parler à la place de son cerveau. Je le vois afficher de grands yeux ronds à la fin de sa phrase, tout aussi surpris que moi par la tournure qu'est en train de prendre notre conversation.

Primitif [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant