Chapitre 4 (Raphaël)

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Allongé dans mon lit avec la musique Moonage Daydream de David Bowie qui résonne en fond, je ne peux m'empêcher de songer à lui quand j'écoute les paroles... Ma séance de sport n'est pas parvenue à calmer mes ardeurs. Il a dit oui et je ne sais pas quoi faire à présent. J'ai l'impression qu'il ne le pensait pas, qu'il cherchait juste à se débarrasser de moi. Je n'ai aucune envie de passer pour un con, à l'attendre au bar alors qu'il n'a jamais eu l'intention de se pointer. Est-ce que je ne ferais pas mieux de rester chez moi ce soir ? Ou je peux rejoindre mes amis, il n'est pas trop tard pour changer de programme. J'hésite, attrape mon téléphone pour taper un message dans la conversation groupée avant de l'effacer. Je ne peux pas prendre le risque de le laisser en plan ou sa vision sur l'équipe de basket deviendra encore plus négative.

En réalité, je me fous un peu qu'il n'apprécie pas les autres, mais je n'ai pas envie qu'il m'inclue dans le lot. C'est con... J'ignore qui est ce type qui, de toute évidence, me déteste avant même d'avoir cherché à me connaître. Pourtant, je m'accroche à ce désir étrange qui s'est insinué dans mon être quand je l'ai aperçu. Je ne suis pas le genre à croire au coup de foudre, je n'ai même jamais eu de relation sérieuse, alors je ne comprends pas ce changement. Il n'y a qu'en le rejoignant que je parviendrais à mettre un mot sur ce qu'il m'arrive.

Je jette un regard vers ma montre : 19h30, ça me laisse encore du temps. Malheureusement, je vais devoir le passer avec ma famille. D'ailleurs, j'entends déjà la voix de ma mère nous appeler pour dîner. Comme toujours, quatre plats ont été dressés, mais seules trois personnes sont présentes : mes parents et moi. Je ne comprends pas l'obsession de ma génitrice qui persiste à préparer une quatrième assiette à tous les repas, comme si mon frère allait braver le pas de la porte pour nous rejoindre. Elle sait bien que ça n'arrivera pas.

— Alors mon chéri, comment s'est passée la reprise ?

— Bien. Il y a deux nouveaux à l'université.

Ma mère dresse un sourcil intrigué tandis que mon père mange en silence, peu intéressé par la conversation, comme toujours. Il ne participe que lorsque le sujet tourne autour de sa personne ou de mes matchs.

— Le directeur a accepté des élèves en cours d'année ? J'ignorais que c'était possible.

— Moi aussi.

— Ils ont été bien accueillis j'espère.

Je repense à la fête de samedi. Sarah s'est plutôt bien intégrée à notre mode de vie, ce qui est loin d'être le cas de Gabriel qui a aussitôt déclenché la guerre avec l'équipe de basket. Je ne comprends pas comment deux personnes aussi opposées peuvent se retrouver ensemble.

— On peut dire ça...

Je mens, mais c'est parce que je n'ai pas envie de m'attarder sur le sujet. Si les choses ont mal débuté entre Gabriel et mes camarades, j'ose croire qu'en tant que capitaine, je parviendrais à rétablir un juste équilibre. Une mission que je me suis lancée sans réellement savoir pourquoi.

— Et l'entraînement s'est bien passé ? Vous deviez être heureux de retrouver le coach.

À ces mots, les yeux de mon père se relèvent instantanément vers moi, comme si elle venait de prononcer les mots magiques pour attirer son attention.

— Ouais, c'était cool ! Les vacances nous ont fait du bien, on était tous en forme sur le terrain, sauf Wesley qui souffre encore de son nez. Il avait peur de se recevoir un coup par accident alors il y est allé mollo.

— Quel genre d'idiot peut bien avoir envie d'amocher le meilleur défenseur de l'équipe ?

Je grince des dents à l'énonciation de cette insulte. En tant que capitaine, je devrais être le premier à prendre le parti de Wesley, mais il faut dire que ce dernier l'a bien cherché... Certes, il a morflé et je n'approuve pas la violence dont Gabriel a fait preuve, mais si quelqu'un se montrait insistant avec une personne que j'aime juste sous mes yeux, j'aurais perdu mon sang froid également.

Mon téléphone vibre dans ma poche et m'arrache à la conversation qui se poursuit entre mes parents. Je glisse discrètement mon regard sous la table et ouvre le message qui m'a été adressé par Sarah. Elle vient de m'envoyer une photo de Gabriel prise à la dérobée, écrivant dessous : je n'ai pas réussi à lui faire porter de la couleur, mais il est prêt ! Effectivement, celui-ci n'est vêtu que de noir, mais cette fois il n'a pas sa veste en cuir sur le dos, me permettant d'admirer la forme des muscles de ses bras. Il est franchement bien bâti et son regard m'électrise même lorsque nous ne sommes pas dans la même pièce. Gabriel a beau se montrer froid et renfermé, ses yeux parlent pour lui et expriment une sensibilité qu'il ne veut pas assumer. Une souffrance également. Le mystère qui pèse autour de lui m'attire comme un tourbillon m'ayant désigné pour être sa nouvelle cible. J'accepte volontiers de me laisser dévorer par cette tornade, si cela me permet d'en découvrir plus à son sujet.

— Raphaël, pas de téléphone à table s'il te plaît.

La voix de ma mère m'arrache à ma contemplation. Je verrouille mon portable et le remets dans ma poche, incapable de chasser son visage de mon esprit. D'une oreille distraite, j'essaie de suivre l'échange entre mes parents alors que je m'interroge sur les raisons de Sarah de m'avoir fait parvenir cette photo. Ils forment vraiment un couple étrange tous les deux... Au moins, son message aura le mérite d'éliminer le doute de mes pensées : Gabriel a l'intention de me rejoindre ce soir.

Il est 21h pile lorsque j'arrive au Code Bar. Un endroit peu fréquenté de Springfield en semaine, malgré sa terrasse qui donne sur la plage. Les week-ends, cet endroit se transforme en stade de concert tellement les lieux sont bondés. Le reste du temps, le propriétaire aime instaurer une ambiance calme pour ceux qui veulent simplement se prélasser les pieds dans le sable avec une bière entre les mains. Autant dire que ce n'est pas le trip des universitaires qui préfèrent trouver leur bonheur ailleurs.

Je commande une Budweiser, écoutant les paroles Do I Wanna Know ? d'Arctic Monkeys diffusées dans les basses. À croire que le monde de la musique s'est mis en accord pour me poursuivre et torturer mon âme ce soir. Je m'installe au fond de la salle, ma bière entre les mains et le regard qui alterne entre la porte d'entrée et mon téléphone posé sur la table. Vingt minutes s'écoulent et je ne reçois aucun signe de vie. Aucun Gabriel qui traverse le bar pour me rejoindre. Je n'ai pas davantage de succès avec ma messagerie, Sarah n'a pas daigné m'avertir d'un quelconque retard ou changement de programme. Peut-être que tout cela a été orchestré par leur esprit fourbe pour se moquer de moi ? Ils peuvent se féliciter, ils seront les premiers à avoir posé un lapin au capitaine de l'équipe de basket. Je patiente encore quelques minutes, autant finir ma boisson avant de partir et une part de moi a envie de lui laisser le bénéfice du doute...

Une heure et trois bières. C'est tout le temps qu'il m'a fallu avant d'abandonner et réaliser qu'il ne viendra jamais. C'est le moment pour moi de déguerpir, surtout que j'essaie d'être sérieux en semaine et ne pas rentrer tard en fait partie. Quel con... J'hésite à envoyer un message à Sarah pour lui faire part de ma rancœur mais m'abstiens. À quoi bon ? Ils ne méritent pas davantage mon intérêt. J'ai tenté de leur laisser le bénéfice du doute à tous les deux, je n'aurais pas dû. Après avoir réglé ma consommation, j'enfile ma veste et me dirige vers la sortie. Au même moment, la porte s'ouvre à la volée, à deux doigts de me percuter de plein fouet. Alors que je m'apprête à insulter celui qui vient de faire son entrée, mon regard bloque sur cette personne.

— Gabriel ?

Putain, il se fout de moi...

Primitif [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant