Tempêtes

Chapitre 12

12 décembre

Cheryl

   J'avançai d'un pas décidé vers le café où travaillait Julie, déterminée à la voir. 

   Depuis que nous nous étions embrassée, je ne l'avais pas revue et je savais pertinemment que la jeune femme cherchait à m'éviter.

    Mais je voulais simplement savoir pourquoi.

   Il ne me semblait pas avoir fait d'erreur et c'était même elle qui m'avait embrassée la première.

    Regrettait-elle ?

    Sans doute avait-elle enfin ouvert les yeux et s'était-elle rendue compte que je n'étais qu'une gamine accro aux chocolats chauds et la neige.

    Quoi qu'il en soit, je voulais l'entendre de sa bouche.

    Le cours de mes réflexions s'interrompit brusquement lorsque que j'arrivai aux abords de Chez Clémentine : Julie se trouvait juste devant la devanture du café, en train de tapoter sur son téléphone.

   Mon pouls s'accélèra et j'eus la plus grande difficulté à réprimer la peur qui s'empara de moi lorsque je l'interpellai :

"Julie ?"

    L'intéressée releva aussitôt la tête et nos regards s'entrechoquèrent. J'eus le temps de lire un éclair de panique passer au fond de ses yeux avant que la jeune femme ne revête son faux sourire de serveuse :

"Hey, Cheryl. Qu'est-ce que tu fais ici ?

- Pourquoi tu m'évites ?"

   La question s'échappa de mes lèvres sans même que je ne tente de la retenir. Je n'avais pas le temps pour la forme, je voulais juste savoir.

   Je voulais juste comprendre.

"Je..."

   Le regard de Julie se fit fuyant. Elle semblait tourmentée, en proie à ses démons intérieurs.

   Sans doute mon intervention était-elle trop soudaine.

   Trop franche.

   Trop spontanée.

   Trop.

   Mais j'avais aimé l'embrasser.

   J'avais aimé me perdre dans le regard sombre d'une serveuse inconnue.

   J'avais aimé entendre le son de sa voix.

   De son rire.

   Et maintenant je voulais savoir pourquoi j'avais si mal.

"S'il-te-plaît, Julie. Répond-moi.

- Cheryl..."

   La voix de la jolie métisse était hésitante.

   Tremblante.

"Je crois... Je ne crois pas que je sois faite pour les relations. Il vaut mieux que tu t'en ailles. Que tu m'oublies. Tu comprends ?"

   Non. Je ne comprenais pas. 

   Mais je ne dis rien. Je me contentai de hocher la tête.

   Comment lui dire que les lèvres d'une inconnue m'avait transpercée ?

   Comment lui dire que je ne pouvais oublier la belle serveuse affairée derrière le comptoir d'un café chaleureux ?

   Comment lui dire que les flocons de neige qui se coinçaient dans ses cils lui allaient si bien ?

   Que je voulais pouvoir contempler ce spectacle sans avoir l'impression de voler un instant qui ne m'appartenait pas ?

   Il n'y avait pas de mots pour cela.

   Il n'y avait que le silence.

   Trop brutal.

   Trop franc.

   Trop spontané.

   Trop.

   Je tournai les talons et disparue dans les rues de Londres.

   Jamais dans toute ma vie de solitaire je n'avais été si seule.