Chapitre 3

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3 décembre

Julie

Je préparais le cocktail commandé par un client machinalement, avec les gestes mécaniques de l'habituée. A côté de moi, Emilie discutait joyeusement avec une cliente tandis que Damien, toujours aussi hyperactif, entassait une dizaine de verres remplis à ras bord dans un petit plateau.

Comme d'habitude, l'atmosphère de "Chez Clémentine" était joyeuse et légère. Des couples, des amis, des familles et des collègues discutaient, des luminaires diffusaient une lumière chaude et tous avaient un sourire accroché aux lèvres.

Sans aucun doute, ce petit bar dégageait quelque chose d'unique et même moi, éternelle maussade, ne pouvais m'empêcher de me détendre.

De me sentir bien, sereine.

Vivante.

"Ju', un chocolat chaud pour la jolie blonde gelée qui vient d'arriver, s'il-te-plaît !" me lança Damien tout en ramenant son tableau, maintenant vide.

Je hochai la tête à son intention tout en déposant les verres que je venais de préparer sur le comptoir et m'apprêtai à préparer la nouvelle commande quand un éclat vert m'interpella.

Je me figeai un instant, surprise. La "jolie blonde gelée" n'était nulle autre que l'intriguante inconnue qui était venue la veille. Moi qui pensais ne jamais la revoir, je l'avais maintenant en plein milieu de mon champ de vision, assise sur une des banquettes rouges du café.

J'observai son visage enfantin, ses yeux verts rieurs, ses cheveux miel coupés au carré en parti dissimulés par un chapeau noir, son air concentré tandis qu'elle relisait une feuille noircie de notes.

Ses écouteurs étaient enfoncés dans ses oreilles et elle jouait machinalement avec un vieux stylo Bic. Elle semblait coupée du monde, plongée dans une réalité accessible d'elle seule.

"La Terre appelle Julie, oh oh !"

Je reportai mon attention sur Damien, qui s'agitait devant moi, tentant vainement de capter mon attention.

"Le chocolat chaud, c'est pour aujourd'hui ou pour demain ?

- Désolée, désolée, marmonnai-je en reportant mon attention sur ma tâche. Je réfléchissais.

- Tu matais, oui. J'ai bien vu que la blonde t'avais marquée. T'attends quoi pour aller lui parler ?"

Je lançai un regard noir à mon collègue. Pour rien au monde je n'irais adresser la parole à une inconnue, aussi jolie soit-elle.

Damien leva les yeux au ciel.

"C'est bon, j'ai compris. Peur de l'attachement, tout ça, tout ça."

Je ne répondis rien. Je connaissais suffisamment Damien pour savoir qu'il m'était inutile de le nier.

Après tout, il n'avait pas tort : l'idée de nouer des liens ou, pire, de m'attacher aux autres me terrifiaient.

Parce que les gens finissaient toujours par disparaître, par m'abandonner.

Parce que je finissais toujours par tout gâcher.

Par tout détruire.

TempêtesWo Geschichten leben. Entdecke jetzt