Vitrines

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Je me baladais tranquillement dans une rue peu fréquentée, histoire de ne pas me mêler à la foule. J'étais pratiquement seul, à l'exception de deux autres hommes devant moi. Ces derniers s'arrêtent devant une vitrine d'un magasin à la devanture assez sombre. Un style de boite de nuit si je peux dire ainsi. Intrigué, je m'arrête derrière eux et observe la pancarte, blanche, accrochée en toute simplicité : « Entrez chers clients et choisissez le modèle qui convient à vos désirs les plus inavouables. ». Mes désirs inavouables ? Faudrait-il déjà que j'en possède un mais qu'importe, toujours à la suite de mes deux compères, je pousse la porte du magasin et entre.

Nous nous retrouvons plongés dans le noir le plus obscur. Les seules sources de lumière sont d'autres vitrines tout le long des murs, formant ainsi un couloir éclairé aux néons colorés d'une dizaine de mètres. Je m'approche de la plus proche, à droite. C'est une vitrine rouge, le mur de fond est tapissé de velours bordeaux et le sol est un carrelage sombre dont je ne distingue pas la couleur exacte. Au fond de cette vitrine se trouve une entrée dont on a retiré la porte. Rien de plus, elle est vide. Je me retourne vers le couloir et je constate qu'elles le sont toutes, seulement teintées vivement.

Une voix sort alors de nulle part, nous prenant au dépourvu

« Soyez les bienvenus messieurs. Je vous prierai de ne pas toucher les vitres et d'être attentif lors du prochain spectacle ».

Un flash blanc nous aveugle le temps d'un bref instant et une musique étrange résonne dans nos oreilles. Les vitrines s'éteignent simultanément durant une dizaine de secondes puis se rallument les unes après les autres. Mais, au lieu du vide précédent, elles se retrouvent habitées.

Au rythme de la musique, la marchandise tourne, brille sous les néons. Chaque objet porte sur un thème différent, une ambiance différente. Rien ne se ressemble et pourtant tout est si semblable dans la forme.

Je regarde le spectacle sans vraiment m'attarder sur un détail précis. Mon regard passe d'une vitrine à une autre sans être interpeller. Mais tout ceci reste plaisant, agréable à admirer. Je longe le vert, le rouge, le violet sans m'arrêter et je reviens sur mes pas, allant et venant quelques instants. Je commence à avoir chaud alors j'enlève ma veste pour être plus à l'aise. Je laisse mes yeux s'attarder comme bon leur semble sur tel ou tel objet, profiter sans rechigner du spectacle qui s'offre à moi.

Tout allait bien jusqu'à ce que je ressente subitement l'envie de partir de cet endroit. J'étouffe, mes yeux ont du mal à distinguer la lumière, mes jambes commencent à vaciller. Il faut que je retrouve la sortie et l'air frais. Ce spectacle est si abominable que j'en ai des haut-le-cœur. Comment un tel endroit peut-il subsister de nos jours ? Tout est si vulgaire, si dénigrant... Il faut que je sorte de là.

Je cherche la porte de sortie à tâtons mais je ne trouve aucune poignée. Au lieu de ça, je me cogne violement à un mur. La voix retentit à nouveau :

« Veuillez rester en notre compagnie durant le temps intégral du spectacle s'il vous plait »

Quelle ironie. J'ose à peine croire qu'une telle boutique puisse encore exister de nos jours. A quel moment peut-on imaginer un manège aussi sordide et fêlé ? A quel point l'esprit humain peut-il être tourné vers le vice, l'exploitation et l'argent sacré ?

Ce ne sont pas des objets dans ces vitrines mais des femmes. Des femmes qui posent et dansent en exhibant leur corps dénudé.

Dégoûté de ce spectacle, j'essaie tout de même de retrouver la sortie mais elle semble s'être volatilisé dans l'obscurité. J'abandonne et me décide de ne pas regarder, de détourner mon regard des néons colorés et des bas résilles. La musique tape contre mes tympans, essaie de pousser vers le vice. J'entends des petits tocs sur les vitres qui m'appellent. Je sens le regard plein de jugement et d'incompréhension des deux autres hommes. J'entends leur voix qui me susurrent de me laisser aller, de me détendre. Non.

Et puis, la musique s'arrête, un second flash blancs et les lumières se rallument. Les filles ont disparu. Ils ne restent qu'un long corridor avec une indication de sortie à la fin qui clignote faiblement. Je m'empresse d'avancer dans sa direction mais plus je me rapproche et plus je m'éloigne. La lumière verte reste toujours à la même distance. Tout s'étire et se distord. Les vitrines fondent et coulent jusqu'à mes pieds. Les deux hommes ont disparu, je suis entièrement seul dans ce liquide en fusion qui me brûle la chair et remonte le long de mes jambes, de mon torse et de mes bras.

Je hurle mais ma voix est étouffée, aucun son ne réussit à franchir le seuil de mes lèvres. Ça me ronge la peau, attaque mes muscles et rougit mes os. Mon cou est en feu, mes joues fondent et mes yeux bouillent. J'essaie d'atteindre encore ma porte de sortie, ma porte de salut mais elle n'existe plus.

Je me baladais tranquillement dans une rue peu fréquentée, histoire de ne pas me mêler à la foule. J'étais pratiquement seul, à l'exception de deux autres hommes devant moi. Ces derniers s'arrêtent devant une vitrine d'un magasin à la devanture assez sombre. Un style de boite de nuit si je peux dire ainsi. Intrigué, je m'arrête derrière eux et observe la pancarte, blanche, accrochée en toute simplicité : « Entrez chers clients et choisissez le modèle qui convient à vos désirs les plus inavouables. ». Mes désirs inavouables ? Faudrait-il déjà que j'en possède un mais qu'importe, toujours à la suite de mes deux compères, je pousse la porte du magasin et entre.

Alors, c'est pas un de mes textes préférés mais bon. Je pose ça là.

L'écriture ou la vieWhere stories live. Discover now