Chapitre 5 - Comme un cheveu (rose) sur la soupe

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Publié le 18 février 2021

1086 mots

*

C'était un petit après-midi de décembre comme il y en avait plein. L'habituel brunch de mes grands-parents s'était éternisé, et il était près de seize heures quand nous avions rejoint le jardin d'hiver pour le café.

J'aimais beaucoup cette vaste pièce remplie de plantes exotiques, qui était continuellement baignée de lumière depuis la verrière. Depuis le début du mois, elle avait été agrémentée de décorations lumineuses, et d'un volumineux sapin de Noël.

« C'est ravissant, s'émerveilla Marika.

– Et encore, tu n'as pas vu notre chalet dans les alpes – c'est une vraie réplique de la maison du père Noël, version hollywoodienne, fit Edouard en riant.

– Tu te moques, mais tu adores y passer les fêtes, observa ma grand-mère en s'installant dans un élégant fauteuil en rotin.

– Évidemment, rit-il. Je détesterais fêter Noël ailleurs. »

C'était déjà la troisième fois que Marika était invitée chez mes grands-parents – Édouard et elle étaient devenus inséparables, même si leur relation était toute fraîche. J'étais vraiment ravie de voir ma meilleure amie et mon cousin s'entendre aussi bien – à la fois pour eux, mais aussi pour moi. La perspective de faire tous les repas de famille en compagnie de Marika m'amusait par avance.

À mon grand dam, la conversation s'orienta rapidement autour des derniers match de polo d'Édouard. Le sujet était loin de me passionner, contrairement à mes grands-parents, et je me laissai rapidement aller à rêvasser en contemplant le nouveau sapin de Noël. Il était un peu plus chargé chaque année.

« Alors, Ambre, comment se passe ta dernière année de fac ? Fit mon oncle en s'installant à côté de moi. J'espère que je pourrai bientôt t'embaucher chez Athos. »

J'aimais beaucoup mon oncle. Et le fait qu'il déteste le polo faisait partie de ses nombreuses qualités.

« Tu vas devoir attendre encore un peu, dis-je en riant. L'an prochain, j'ai prévu de passer le barreau.

– C'est vrai, c'est vrai, fit mon oncle en souriant. Mais je peux peut-être te prendre en stage, à l'occasion, comme ton amie qui fait de l'informatique ? »

Édouard se tourna vers nous. Il avait manifestement fini de disserter sur les aptitudes de son cheval.

« Tu as embauché une amie d'Ambre dans ta boîte ? Demanda-t-il avec curiosité.

– Oui.

– Non. »

Mon oncle m'adressa un regard surpris : nous venions de nous contredire en répondant à la même question. Je me mordis l'intérieur de la lèvre, pour essayer de garder une attitude impassible, comme si le sujet était profondément anecdotique.

« C'est Cassandra Dupont, expliquai-je. On ne peut pas dire que ce soit une amie, c'est plutôt une camarade de travail... une simple connaissance, même. Je lui ai juste rendu service quand elle cherchait un stage.

– Oh, tu exagères, rit mon oncle. Vous avez l'air de bien vous entendre, elle me parle très souvent de toi. C'est bien elle qui t'a aidé à sécuriser ton ordinateur, non ?

– Oui, c'est vrai, fis-je d'une voix hésitante. »

Cassandra avait prétendu que ça faisait partie de « notre marché ». Quand sa convention de stage a été signée, elle a insisté pour m'aider à protéger mes données – je n'avais pas vraiment de raison de refuser. Après tout, elle avait raison, il fallait que j'empêche cette situation de se répéter.

Elle a donc passé un après-midi à bidouiller mon ordinateur en me bombardant d'allusions sexuelles. J'avais bien tenté de garder une attitude impassible, en dépit de son décolleté scandaleux et de l'insistance avec laquelle elle se collait à moi, mais ça avait été un déplorable échec. Je ne comprenais pas vraiment ce qu'elle cherchait à prouver, parce qu'elle s'éloignait à la seconde où je faisais un geste dans sa direction. Comme si elle voulait juste s'assurer de l'effet qu'elle me faisait. Cette fille était un concentré de contradiction à elle toute seule.

En tout cas, maintenant, mon disque dur était entièrement chiffré, je n'enregistrais rien de confidentiel sur le cloud, et j'ignorais absolument comment me comporter avec Cassy. Je n'arrivais même pas à l'ignorer, alors qu'elle m'envoyait toujours des SMS farfelus à des heures improbables.

Il faut dire que c'était plus facile de discuter avec elle par écrans interposés. Et puis, j'étais de plus en plus fascinée par cette fille, sans arriver à définir exactement ce que je lui trouvais. Ça avait atteint le stade où je me jetais sur mon téléphone à la moindre notification, ce qui faisait dire à Marika que j'étais droguée aux réseaux sociaux.

Bertrand, lui, pensait que je me droguais réellement – c'est vrai que je me comportais parfois bizarrement.

J'avais préféré ne pas le détromper. Je sentais qu'il valait mieux associer un ou deux rails de coke à l'image que les gens se faisaient de moi, plutôt que de dire la vérité. Je ne tenais pas à ce qu'on établisse un quelconque lien entre moi et une geekette en tenue punk – surtout pas celle à cause de qui je n'avais pas majoré le droit privé au semestre précédent.

J'accordais une grande importance aux classements universitaires, c'était comme ça.

« C'est vrai que le style vestimentaire de la demoiselle Dupont... bon, il laisse plutôt à désirer. Mais elle fait de l'excellent travail malgré tout, reprit mon oncle. Si tu as d'autres amies aussi douées, n'hésite pas à me les recommander.

– Je n'y manquerai pas, fis-je en buvant une nouvelle gorgée de café.

– D'ailleurs, j'y pense : est-ce que tu voudrais que je te présente un éditeur ? Cassandra Dupont m'a dit qu'elle avait beaucoup aimé le manuscrit que tu lui avais montré, ce serait dommage de le garder pour toi. »

Je manquai de recracher mon café.

« Elle a dit quoi ?

– Ne sois pas timide, fit mon oncle en ébouriffant gentiment mes cheveux. Je sais que c'est toujours terrible pour les écrivains en herbe de montrer leurs textes, mais ça passera avec l'habitude. Et comme tu le sais, j'ai quelques très bon amis dans le monde de l'édition, donc si tu as besoin d'un regard extérieur...

– Je n'ai rien terminé, dis-je rapidement. L'écriture, c'est juste un loisir passager, mais je n'ai rien de publiable en l'état. »

Marika et Édouard m'adressaient tous les deux un regard suspicieux – évidemment. Je n'avais jamais ne serait-ce qu'évoqué l'écriture devant eux, et je sentais que je n'allais pas m'en tirer sans explications.

« Vraiment, insistai-je, vous seriez déçus, je suis loin d'être une bonne écrivaine.

– Bon, bon, fit mon oncle, prends ton temps. Mais n'oublie pas ce que je t'ai dit, je suis là si jamais tu as besoin d'un contact. »

***

On a frôlé l'incident diplomatique, dans ce chapitre. Est-ce que vous êtes étonné.e que Cassy ait parlé du roman d'Ambre ? C'était exactement  le genre de situation qu'elle redoutait, en plus.

Merci de votre lecture, et on se retrouve ce weekend pour le prochain chapitre, qui suit directement celui-ci !

Piégée par la nerd [terminé]Where stories live. Discover now