God Bless America [New Version]

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En marchant vers son Chevrolet Tahoe hybride, Stan put observer une vieille camionnette Grumman autonome en piteux état livrer un paquet chez le voisin d'en face. Selon toute vraisemblance, l'engin était très largement en retard sur les livraisons de la veille.

Parfois, ces véhicules restaient bloqués ou se perdaient. Un exemple désormais célèbre avait été observé quelques années auparavant dans un quartier de Palo Alto. Une vingtaine de camionnettes s'étaient agglutinées, les unes sur les autres, bloquées l'espace d'une journée. Le phénomène attira l'énervement des riverains dans l'impossibilité de sortir de chez eux et les choux gras de toute la presse Californienne. Plus tard, la société de livraison avoua publiquement qu'une erreur de mise à jour de cartographie servant à guider les Grumman, envoyée le matin même "over the air" à tous ses véhicules, en avait été la cause.

Stan, toujours curieux, pris deux minutes pour observer les deux portes automatiques s'ouvrir et laisser sortir une espèce de petit chien mécanique. La bestiole, portait sur son dos son précieux chargement : un colis.

L'ingénieur français empathique ne put s'empêcher de ressentir un léger sentiment de pitié en voyant que l'animal robot dut s'y reprendre à deux fois pour déposer le colis devant la porte. Au premier essai, il manqua de le faire tomber en se prenant les pattes sur le rebord du trottoir. Il perdit l'équilibre et alla s'encastrer dans la porte de la maison. Heureusement, le colis n'était pas tombé. Il put le déposer alors délicatement sur le paillasson. Puis, le chien mécanique remonta dans la camionnette la tête haute et l'air fier d'un torero dans les arènes de Madrid.

Stan, déjà en retard, démarra alors en faisant gronder son V8 et sorti du lotissement typiquement nord-américain.

Alain !? Mais qu'est-ce que tu as bien pu faire pour en arriver là ? se dit-il en parlant tout seul.

Pour la première fois depuis ces derniers jours, il oublia quelques minutes Cécile pour repenser à son ami proche.

Stan avait toujours voulu venir vivre aux Etats-Unis. Peut-être que les longs après-midi dominicaux passés à regarder des séries télé avec sa mère y étaient pour quelque chose.

Redresse-toi et fais-moi un sourire américain ! lui disait-elle constamment.

Cependant, la témérité et l'esprit aventurier n'étaient pas les traits de caractère les plus affirmés chez Stan. Partir loin de France, à neuf mille kilomètres de chez lui, en laissant derrière lui ses parents, il ne l'aurait pas fait seul. Finalement, grâce à Alain, il avait sauté le pas. Il lui devait d'avoir pu réaliser son rêve d'enfant.

Mais il ne le regretta pas. Stan ne fût pas déçu en arrivant en Californie. Il vivait pleinement son rêve américain. Parfois de manière égoïste, il n'avait peut-être pas réalisé que l'expatriation était plus difficile pour Cécile.

Il aimait conduire le long de ces avenues larges et infiniment droites, croiser de gros pick-up, manger des tomates gigantesques et des steaks énormes et boire au goulot de bouteilles d'un gallon.

Il appréciait cet esprit décomplexé fier d'exposer ses fiertés aux regardx des autres. Il s'amusait à voir les gens arborer des tee-shirts ou des casquettes à l'effigie de leur quartier. Qui pourrait imaginer un français s'asseoir dans le métro avec un "j'aime Nanterre" floqué en gros sur son tee-shrit ? Eh bien ici, tout était possible.

Il se reconnaissait dans ce peuple de pionniers, adepte par nécessité du pragmatisme.

"Ils ne sont pas du genre à faire dix réunions et autant de scénarios avant de prendre une décision. Ils s'engagent, prennent des risques et les assument !" se disait-il souvent.

Ici la devise est : si tu n'as pas échoué dans ta vie, c'est que tu n'as pas assez tenté. Je voudrais que cela soit votre ligne directrice à vous aussi ! répétait-il à ses enfants.

Il raffolait des panneaux de signalisation "Dip", "Bump", "Flood" que l'on comprenait en un clin d'œil. Ils sont tellement plus efficaces que ces indications françaises et leurs trois lignes de texte possibles à déchiffrer uniquement le panneau déjà passé.

Dans ce pays, il n'y avait pas trois ou quatre barrières au bord du Grand Canyon pour infantiliser les gens et les empêcher de se pencher. Juste une pancarte précisant : "attention, danger de mort". Autrement dit : "coco, fais ce que tu veux, rapproche-toi si tu en as envie mais, si tu tombes, tu ne pourras t'en prendre qu'à toi même et il ne faudra pas venir te plaindre.

C'est ça ! Ici les gens ne se plaignent pas ! En France on se plaint de tout : d'avoir trop de boulot, d'être malade, de ne pas faire carrière, du voisin, des immigrés. On ne fait rien pour aider les autres et on se plaint même de ceux qui sont là pour le faire : politiciens, policiers, médecins, syndicats, syndics...

Ces choses n'évoluent pas à l'échelle d'une vie. Des siècles sont nécessaires à forger les comportements culturels des peuples. Chacun ont leurs avantages et leurs défauts. A toi de choisir ceux qui te correspondent le mieux, se distait-il.

Il était persuadé que ces différences avaient été engendrées par ce qui dictait les lois il y a plusieurs centaines d'années : les religions.

Dans les pays catholiques, on est habitués à avoir un pape ; un chef. On s'en plaint et on fait tout pour resquiller lorsqu'il a le dos tourné quitte à se faire prendre par la patrouille. Et gare à celui qui vous dénoncerait. Dans les pays protestants anglosaxons, il n'y a pas de chef, pas de pape. Vous être libre de faire comme bon vous semble. Mais attention, les voisins sont là pour vous rappeler les règles. Et gare à celui qui se fait prendre en infraction, il le paie cher... était la tirade qu'aimait répéter Stan à table après un bon repas arrosé.

Ce n'était pas qu'il n'aimait pas ses compatriotes, mais il était fatigué d'observer ce petit pays, certes à l'origine d'une des premières révolutions, donner des leçons à la terre entière en essayant d'imposer sa vision de la démocratie sans tenir compte des diversités géographiques ou culturelles.

Par exemple, il disait souvent :

Le français aime bien donner des leçons aux autres mais il oublie que la première priorité de l'homme est de s'adapter à son environnement. Avoir le droit de porter une winchester en plein désert de Mojave pour tuer les coyotes affamés, ce n'est pas la même chose le droit de dissimuler un 357 magnum dans la poche à la station Barbès du métro parisien.

Voilà, pour tout cela, il ne regrettait pas la décision de suivre Alain ici en Californie et se délectait quotidiennement des grands espaces, des déserts, de la route soixante-six, des canyons, des Ford Mustang, des gratte-ciels, des parcs nationaux, des séries télé, les cheesecakes, les motels, les machines à glaçon, le bacon, des pancakes, des scones, des Yellow Cabs, de Franck Sinatra, de la NASCAR et du Baseball...

La sirène d'une ambulance escortée par deux humanoïdes du SFPD à moto le ramena à la réalité. Il observa le cortège passer en trombe au feu tricolore devant lui tout en se disant que le moment de la journée qu'il préférait était celui-là. Le matin, le verre de café glacé dans le porte gobelet, les Rayban sur le nez face au soleil californien, le V8 ronronnant le long d'une ligne droite interminable. Quel pied ! Quelle thérapie anti-stress ! On était loin des embouteillages de huit heures du matin sur la N118 à Vélizy.

Quelques minutes de plaisir plus tard, il passa la barrière du parking du centre technique. La réalité et le décès d'Alain lui sauta à nouveau au visage. Les sirènes des ambulances et des voitures du SFPD l'avaient précédé jusqu'ici. Il pouvait distinguer les reflets crépitant des gyrophares à LED dans les vitres des buildings futuristes.

California OneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant