La Marraine de Broadway [New Version]

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         Il les connaissait tous. Le Gold Club en plein SoMa, le Hustler Club de Larry Flynt à Chinatown, le Deja Vu Centerfolds sur Broadway... Mendes connaissait tous les bars à gogo danseuses de Frisco.

Il y venait presque tous les soirs après le boulot, parfois très tard, pour se détendre. C'était sa façon à lui de décompresser et d'oublier les horreurs vues à longueur de journée.

Il avait commencé très tôt. A la mort de son père, sa mère voulut changer de quartier. Cependant, avec ses faibles revenus de femme de chambre, elle ne put louer qu'un petit appartement minable dans le Red Light District.

André-Pierre, à l'âge de sept ans, se retrouva à arpenter Broadway deux fois par jour, pour aller à l'école. Avec son petit cartable d'enfant, il apprenait par cœur l'enchainement des enseignes et connaissait donc tous les bars à striptease de la rue.

Les danseuses et les prostituées le connaissaient bien. En guise de gouter, certaines lui offraient même parfois un donut voire une part de cheesecake achetée dans la rue. Elles s'étaient prises de sympathie pour ce petit gamin avec son uniforme d'écolier qu'elles voyaient passer tous les jours.

- Je te donne ce donut, si et seulement si, tu me jures que tu vas continuer à aller à l'école, bien gagner ta vie et sortir de ce quartier de merde... lui avait dit un jour une des filles répondant au doux prénom de Teresa.

Du haut de ses huit ans et demi il avait répondu :

- Si tu me donnes ce donut, je te promets que : je deviens milliardaire, je viens te chercher ici en limousine noire et... je me marie avec toi !

Il se souvint de l'éclatement de rire du petit groupe de prostituées qui, pas loin, l'avait entendu. Il l'avait bien pris et était flatté d'avoir fait rire autant de femme à la fois. Elles étaient devenues pour lui des amies. Lui qui vivait seul avec sa mère, avait trouvé le moyen d'agrandir artificiellement sa famille.

Teresa était devenue sa « Marraine de Broadway » comme il l'appelait avec ses mots d'enfant. La fille de joie avait pris le petit garçon sous sa protection. Elle était respectée car l'une des plus anciennes et cela lui donnait un certain statut. Elle était aussi proche de sa fin de "carrière" (si on pouvait appeler cela une carrière) et ne faisait plus trop recette.

A ses débuts à l'âge de vingt ans, la « Marraine de Broadway » avait été pourtant la plus belle et faisait le plus gros chiffre de la rue. D'origine mexicaine, ses grands yeux noirs et ses très longs cils lui donnaient une apparence d'héroïne de Disney.

Au fil des jours et des années passées à arpenter la rue, ses jambes avaient gonflé sous le poids des longues heures passées debout. Son corps était meurtri des sévices perpétrés par les mauvais clients. Teresa devait cacher les brûlures de cigarettes qui parsemaient ses avant-bras. Sa mâchoire ayant été brisée par une bande d'extrémistes nazi qui l'avaient rouée de coups lors de l'une de leur descente punitive dans le quartier, elle avait parfois du mal à articuler.

Cela, le petit Mendes s'en fichait. Elle était sa marraine, celle qui le défendait si des hommes bizarres s'approchaient ou si les voyous du quartier voulaient le racketter. Celle qui lui donnait son quatre-heure ou de quoi acheter des bonbons. Celle qui avait toujours une petite histoires de conte de fées à lui raconter lorsqu'il était triste. Celle qui lui avait donné des conseils pour essayer de séduire ses premières conquêtes. Celle enfin qui lui avait offert sa première expérience sexuelle à l'âge de seize ans.

Lorsque, deux ans plus tard, Teresa fut retrouvée morte parce qu'elle ne rapportait plus assez de fric à son mac, il fut dévasté. Il avait perdu sa Tati de Broadway, sa confidente, son inspiration... Il avait perdu une partie de ses racines finalement.

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