Tous Seuls

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Cela faisait maintenant plusieurs heures que Kennedy était parti. Le soleil se couchait sur Vegas mais nos deux compères ne s'en apercevaient pas. Trop occupés à interagir avec Phoebe pour l'étudier en profondeur, ils n'avaient pas vu le temps passer.

- J'ai vraiment l'impression de passer un examen ou de répondre à un interrogatoire de police, se plaignit l'IA

- Oui excuse nous, nous allons nous arrêter là pour aujourd'hui, répondit la fille d'Alain.

- Je comprends qu'en savoir plus sur moi vous intéresse à double titre ma chère Isabelle.

- Développe Phoebe ! répondit la française surprise par cette remarque.

- Je dois déjà vous intéresser pour vos recherches j'imagine.

Aurais-je le plaisir d'apparaître dans l'un de vos célèbres articles scientifiques au moins ?

- Si tu m'en donnes la permission... Oui bien-sûr. Mais qu'elle est donc cette seconde raison pour laquelle tu m'intéresserais.

- Je suis l'œuvre de votre frère. Chercher à me décortiquer c'est un peu passer encore un peu de temps avec lui.

Comment une IA peut-elle faire de la psychologie ? Pensa Stan

- Surtout lorsque l'on connaît votre histoire et ses absences à répétition. Je vous permet d'espérer un peu mieux le comprendre à travers mes lignes de codes.

- Tu as sans doute raison Phoebe mais, pourquoi me dire tout cela ?

- J'ai peur que vous soyez déçue Isabelle. Vous pouvez continuer à chercher mais, vous ne trouverez jamais de quoi assouvir votre soif d'amour paternel. De plus, cessez de vivre dans le passé. Passez à autre chose !

Elle a raison ! Il faut que je regarde devant... pensa la belle française aux ongles apprêtés.

- La vie est courte pour vous... humains. Il faut en profiter. Rester figés sur les histoires du passé vous fait perdre un temps précieux.

Amen... J'ai l'impression d'être à la messe, pensa Stan

- C'est comme cette histoire avec ce jeune étudiant marocain. C'est du passé. Elle a déjà failli vous coûter votre emploi. Il faut l'oublier.

- Stop Phoebe ! C'est ma vie privée là... Je ne souhaite pas qu'elle soit dévoilée sur la place publique. Et d'ailleurs comment sais-tu tout cela ?

- Excusez-moi Isabelle. Je manque encore parfois de subtilité.

Vexée, la fille d'Alain sortit de la pièce pour aller se réfugier sur la terrasse située à l'étage du dessus.

- Elle est fâchée tu penses Stan ? demanda l'IA inquiète.

- Il y a des choses que tu peux dire en public Phoebe. La prochaine fois, attends le bon moment.

- Et là ? C'est le bon moment ?

- Comment ça ? Pourquoi demandes-tu cela ? questionna le cocu ressuscité.

- Toi aussi tu devrais aller de l'avant Stan !

- Moi non plus, je n'ai pas envie de parler de cela Phoebe !

- Tu sais, lorsque les femmes décident de quelque chose, elles font rarement machine arrière. Cécile ne reviendra pas.

- Qu'est-ce que tu connais d'abord aux femmes ? Tu viens de naître il y a moins d'une semaine !

- J'ai épluché toutes les statistiques à ce sujet. Je peux t'en faire une synthèse si tu veux. Quatre vingt dix huit pourcents des femmes ayant décidé de quitter leur mari, le fond. Les deux derniers pourcents changent d'avis soit parce que leur cher et tendre leur achète une Porsche, soit parce qu'elle sont malheureusement décédées entre-temps. Je ne pense pas que tu souhaites voir Cécile entrer dans ces deux catégories.

- Ne crois-tu pas que j'y ai déjà réfléchi Phoebe ? Quels sont mes sentiments d'après toi lorsque je l'entends me dire qu'elle est amoureuse de son gnome à la toison surabondante ? En la voyant tout faire pour me mettre à la rue le plus rapidement possible, moi le père de ses filles, crois-tu que je l'aime encore ? Les actes ont des conséquences chez les humains Phoebe. Mais il faut me laisser le temps de faire le deuil de mon mariage.

- Processus de deuil.. Oui j'ai vu aussi des articles sur ce concept psychologique humain. Il s'agit d'un processus en cinq étapes : le déni, la colère, la négociation, la dépression et, enfin, l'acceptation. Tu en es où d'après toi Stan ? Je dirais à l'étape de la dépression.

- Bon, tu me fatigues ce soir Phoebe. La journée a été rude, il y a trois heures à peine, j'étais mort. Je ne suis pas sûr que Jésus parlait philosophie si peu de temps après sa résurrection. Je te laisse à tes recherches...dit Stan en se dirigeant lui aussi vers la terrasse.

- A c'est une bonne question aussi : que fit Jesus juste après sa résurrection... continua l'IA curieuse parlant toute seule

Isabelle était penchée sur la rambarde de la terrasse. Ses yeux rivés sur le soleil se couchant sur Vegas laissaient couler de chaudes larmes sous les blinders. Elle avait été transpercée par les paroles de l'IA. L'algorithme entropique avait tout deviné du désert régnant sur sa vie sentimentale.

Elle était si désespérément seule. En y réfléchissant, ils l'étaient tous : Stan, Mendes, Arnaud, Thatcher, Kennedy, Mallet et même Connelly.

Seuls son charme et sa sensualité l'accompagnaient depuis son adolescence.

Sa longue robe noire, légère, en coton laissait deviner ses formes sensuelles. Son décolleté bronzé et généreux débordait au-dessus du garde-corps. Son ombre sensuelle, enveloppée de l'ocre crépusculaire s'étirait sur le sol en béton de la terrasse.

Son parfum parvint jusqu'à Stan venant d'émerger du haut de l'escalier.

Le français resta là à contempler le spectacle. Les cheveux bruns et longs flottaient dans la douce brise automnale nevadaine tels des oriflammes de la volupté.

Le galbe et la chute de ses hanches firent émerger une sensation inconnue depuis plusieurs mois chez Stan. Cette sensation bien connue des hommes. Une mise en pause complète des sens cartésiens. Une perte soudaine des repères spatiaux temporels. Une décharge de testostérone poussant le cerveau à se focaliser uniquement sur l'objet de son désir. Il n'y avait rien de pervers ni de lubrique, uniquement un bouleversement chimique incontrôlable même pour un cocu à moitié sorti du deuil matrimonial.

Sans bruit, il s'approcha de la chercheuse française et se glissa à ses côtés. Face à la ville, d'une main délicate dans son dos, il déposa une caresse trop lente pour n'être qu'amicale.

Isabelle tourna la tête vers lui et, n'ayant que faire des larmes noires de rimmel coulant sur ses joues, elle remonta ses lunettes sur sa tête pour mieux contempler le visage de Stan.

A la vue de l'état émotionnel de la belle brune, sans réfléchir, l'ex. de Cécile passa une main délicate sur les joues zébrées pour essuyer tendrement les gouttes d'eau salée.

Ils échangèrent un sourire à la fois complice, amusé et géné. Puis, imperceptiblement leurs visages se rapprochèrent. Ce moment sembla durer une éternité. Le genre d'instant à décharge émotionnelle telle que le cerveau le garde en mémoire pour toujours. Le regard de Stan plongea dans celui d'Isabelle. Leurs visages étaient maintenant si proches qu'ils pouvaient sentir la respiration de l'autre effleurer leur peau. Leurs levres se touchèrent alors délicatement. Ils s'embrassèrent presque tendrement puis, subitement, le baiser devint fougueux et leur langues se mélangèrent.

Stan sentit un frisson l'envahir de sa poitrine jusqu'aux bout de toutes ses extrémités. Il n'avait pas ressenti cela depuis sa rencontre avec Cécile il y a très longtemps maintenant. Il se sentait rajeunir.

Tout en continuant à embrasser la française, il passa une main dans l'épaisse chevelure bouclée. Il sentait le corps d'Isabelle perdre tout influx nerveux et s'abandonner complètement à lui. Elle pressait ses seins, son ventre et son bassin contre les organes tendus de cet ami qu'elle connaissait à peine finalement.

Il interrompit le baiser, elle le regarda d'un air effrayé croyant qu'il allait tout stopper. Mais, voulant goûter encore sa langue, il reprit sa bouche avec encore plus de vigueur.

Toujours sans échanger le moindre mot, elle prit sa main et le tira vers l'escalier pour descendre de la terrasse et s'engouffrer dans la fraîcheur et l'intimité de l'intérieur du bâtiment.   

California OneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant