Partie 1 - Chapitre 22

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7 décembre 2012

Les derniers jours étaient passés avec une lenteur terrible. Chaque matin, Nana m'apportait les repas de la journée, puis repartait sans un autre mot. Je n'avais pas revu le visage de Yeison depuis mon réveil dans cette chambre qui était devenue ma prison.

Quant à Maria, j'avais tenté plusieurs fois d'aborder le sujet de notre discussion précédente, mais cette dernière s'était toujours éclipsée, prétextant des raisons variables pour éviter un dialogue dépassant plus de trois phrases échangées les rares fois où elle était forcée d'entrer dans ma chambre pour ranger ou récupérer des objets futiles.

En résumé, on ne m'avait pas adressé la parole depuis des jours et sans contact humain, je me sentais dépérir petit à petit. C'était fou à quel point la Communa pouvait nous faire oublier la relativité de la vie. Les traces de vie humaine me semblaient si rares que parfois je me demandais si les souvenirs de ma vie d'avant avaient réellement existé les jours où les heures avaient défilé encore plus lentement qu'ordinaire.

J'avais perdu le décompte des jours, si bien que j'ignorais depuis combien de temps j'étais arrivée dans la colonie. Un mois ? Deux ?

Je ne connaissais plus les jours de la semaine, ni l'heure de la journée, excepté le matin lorsque Nana m'apportait de la nourriture et que je me tordais le cou pour zieuter les aiguilles de sa petite montre dorée accrochée à son poignet gauche.

Pour éviter de frôler la folie, je me dépensais comme je le pouvais dans la petite chambre de quelques mètres carrés. Parfois j'entendais les interrogations de Maria et Yeison lorsqu'ils s'étonnaient du boucan que je faisais lorsque je sautillais d'un mur à l'autre. Seul l'exercice physique me permettait de ne pas couler. Mais pour combien de temps ?

Je n'avais aucun moyen de distraction, ni livre, ni papier ou bout de crayon avec lequel j'aurais pu griffonner une partie des pensées qui filaient dans mon cerveau abandonnant progressivement la raison.

Je m'efforçais de fabriquer des scénarios dans ma tête et d'imaginer ma vie un jour au-delà de la colonie, retrouvant ma mère et mes amis. Parfois, cela me semblait tellement irréel que mes pensées n'avaient plus la force de dépasser l'enceinte de la colonie. Et dans ces moments-là, aucun de mes neurones ne pouvait échapper à l'aura de César.

Je devenais folle à imaginer ce qu'il faisait à l'instant où je pensais à lui. Pour me changer les idées, je reproduisais le même exercice avec Luisa, d'autres filles de la colonie ou même Alejandra. Mais aucunes n'avaient le pouvoir de me faire oublier la prison verte de la Communa comme lui.

Mes pensées se mélangeaient entre ses manipulations psychologiques et rhétoriques, nos moments intimes à faire rougir une bonne sœur, ou même simplement ses discours en tant que leader de cette foutue colonie.

Je donnais peu cher de ma santé mentale pour les semaines à venir. J'avais presque abandonné l'espoir de pouvoir m'échapper un jour, tant il était déjà difficile pour moi de m'évader de la colonie par la pensée.

C'était dans ces moments-là que je fondais en larmes, quand je sentais que mon sort était jeté et qu'aucun espoir ne se profilait à l'horizon. La colère s'emparait de moi et avec la même rage qui m'avait poussé à m'élancer dans la jungle, je détruisais tout ce qui m'entourait dans la chambre.

J'avais cassé la petite lampe qui m'éclairait le soir et brisé en deux un vieux cadre en bois qui m'était tombé sous la main.

Les lendemains de ces moments de crise, Nana entrait dans la chambre et regardait sans surprise les carnages que je provoquais. C'était à croire qu'elle s'y attendait. Parfois, j'avais l'impression qu'elle y prenait un malin plaisir à me voir détruire petit à petit ce qu'il restait de ma santé mentale.

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