Partie 1 - Chapitre 29

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Après la pause déjeuner, je m'étais hâtée, sous l'impulsion de Luisa, dans un des coins les plus reculés de la laverie. Nous avions préféré choisir une tâche fastidieuse que beaucoup de femmes évitaient, le nettoyage des draps de l'infirmerie. J'ignorais ce qu'il se tramait là-bas mais systématiquement le linge qui nous était confié était d'une saleté effrayante.

Luisa m'avait conseillé de m'éloigner des femmes avec qui nous avions discuté plus tôt. La tension qui nous avait gagné après l'évocation du frère de César avait suffit pour lui mettre la puce à l'oreille que Térence était un sujet à éviter dans la colonie.

Tandis que je sortais, avec un dégoût clairement affiché sur mon visage, un grand drap blanc tâché de résidus verdrâtres, Luisa fixait les alentours furtivement. Notre dernière discussion l'avait grandement affectée, sûrement à cause de la crainte des représailles de la part de César. J'ignorais combien de membres de la colonie étaient au courant mais il était vrai que ce que nous avions découvert était plus que compromettant. Yeison m'avait bien dit que César avait créé la secte avec son frère mais que ce dernier l'avait quitté. Jamais je n'aurais cru que Térence serait resté dans la même jungle, à quelques kilomètres de son frère. Yeison s'était bien moqué de moi en omettant cette information, de loin la plus importante.

Un des ennemis jurés de César se trouvait à proximité de la colonie.

Et cela avait plus de poids que je ne l'aurais jamais cru. J'avais vu de mes propres yeux les hommes de Térence et d'après ce que j'avais compris, ce dernier régnait en despote sanguinaire sur l'autre partie de la jungle. Si César et lui s'étaient déchirés peu après la création de la colonie, j'imaginais mal que leurs rapports soient amicaux quelques années plus tard.

Yeison avait faillit m'étriper lorsqu'il avait compris que je m'étais aventurée au-delà des frontières de la colonie et qu'il m'avait retrouvé avec un véhicule volé aux hommes de Térence. Oui, pour moi, tout était clair. César évitait de croiser la route de son frère et la simple évocation de son nom réussissait à inspirer la terreur parmi les membres de la secte.

Je me demandais vraiment comment avaient été les premières années de la colonie, lorsqu'ils étaient deux à régner en maîtres sur cette petite partie de la jungle. A tout prix, je devais mener mon enquête et réussir à trouver des habitants présents depuis le début. J'éliminais tout de suite Yeison. Il m'avait déjà caché une partie de la vérité et il n'hésitera sûrement pas à recommencer. Je devais rencontrer quelqu'un qui aurait suffisamment confiance en moi pour me raconter cette histoire cachée et interdite.

C'était comme un besoin irrépressible. J'avais besoin d'en savoir plus. Quelque chose au fond de moi était persuadé que la relation entre ces deux frères en disait beaucoup sur l'origine de la création de la colonie. Je voulais connaître ses secrets les mieux gardés. Je voulais en faire une arme.

J'avais raté ma fuite. Et même s'il m'avait fallu plusieurs semaines pour le comprendre, j'en étais aujourd'hui persuadée.

On ne pouvait pas s'échapper de la colonie. César avait derrière lui une milice d'hommes armés, des chiens et une frontière de plusieurs kilomètres. Il exerçait un contrôle sur les corps et sur les âmes qui dépassait l'inimaginable.

Non, on ne pouvait pas lui échapper.

Le seul moyen de fuir, c'était de détruire sa colonie, son œuvre et son arme. Je m'en faisais la promesse, je puiserai chacune de mes forces pour en sortir libre. Derrière moi, dans mon chemin de la liberté, il n'y aura plus ces bicoques en bois tropical. Non. Il y aura un feu ardent, détruisant chaque centimètre de vie de la colonie.

Et, dans les flammes, se trouvera César, brûlant en Enfer.

***

J'avais passé les jours suivants à me mêler dans la masse, retrouvant cette morne routine au service de la colonie. César ne m'avait pas adressé la parole depuis mon arrivée fracassante. Il ne m'avait pas regardé non plus. J'imaginais qu'il faisait cela pour calmer les ardeurs d'Alejandra et des autres femmes après toute l'attention qu'il m'avait accordée ces derniers jours.

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