PREMIÈRE PARTIE : prologue

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Il devait être aux alentours de midi. La salle d'embarquement était pleine à craquer et la chaleur qui s'y dégageait en devenait presque suffocante. A vrai dire, cela n'avait rien d'étonnant : je savais exactement à quoi m'attendre en prenant l'avion en plein mois d'août, durant la période estivale. Certes, ce n'était pas l'idée la plus brillante qui soit, mais je n'avais pas eu le choix.

J'observais les voyageurs – des familles pour la plupart – aller et venir, s'occuper sur leur téléphone, manger, s'impatienter en regardant à chaque instant l'écran qui affichait l'heure du décollage. Le brouhaha ambiant devenait assourdissant et me donnait mal au crâne.

J'entendais encore Alex, ma très chère sœur, me demander –m'ordonner serait plutôt le terme approprié – d'être à Los Angeles cette semaine, me forçant au passage à vider la totalité de mon compte épargne afin de me payer ce billet hors de prix.

Selon ses propos, le patron de EMC — Edwards Manufacturing Compagny — avait insisté pour me voir le plus rapidement possible, sous peine de donner ce poste tant convoité à quelqu'un d'autre. Ma sœur, qui le connaissait personnellement, lui avait longuement parlé de mon profil, en exagérant sûrement mes compétences et mes qualités pour ce travail.

Je lui avais envoyé mon cv et une lettre de motivation, que j'avais mis une éternité à écrire. Il envisageait de m'engager, je ne pouvais donc pas me permettre de laisser passer une occasion pareille.

Voilà ce que je me répétais inlassablement depuis quelques jours, pour me convaincre que ma décision inattendue et presque délirante de quitter mon pays natal était la meilleure chose qui soit. Toujours selon Alex, ce nouveau départ était une chance inespérée de m'extraire de mon quotidien et de changer de vie, de m'épanouir réellement en dehors des frontières qui m'étaient pourtant si familières.

J'ignorais si cela était juste ; mais s'il y avait bien une chose dont j'étais sûre, c'était que cette vie lui convenait parfaitement à elle. Depuis son départ dix ans plus tôt, il avait toujours semblé évident qu'elle ne remettrait jamais les pieds en France.

Cela était d'autant plus clair maintenant qu'elle était parvenue, après tant d'efforts, à créer cette agence artistique qui lui tenait tant à cœur. Avec l'aide de Julian, elle semblait sur la bonne voie pour pénétrer définitivement dans le milieu très fermé d'Hollywood. Pour une fille d'ouvrier, c'était plutôt pas mal.

L'idée de la rejoindre ne m'avait jamais réellement effleuré l'esprit ; alors certes, coincée en région parisienne sous un temps maussade, condamnée à des heures de RER pour assister à des cours fastidieux et redondants, je l'avais enviée plus d'une fois, l'imaginant sous le soleil de Californie, dans une des villes les plus célèbres au monde. Mais cela relevait plus du fantasme que de la volonté concrète de l'imiter.

Les États-Unis me faisaient rêver, comme beaucoup de gens, même si je savais pertinemment que j'avais regardé trop de séries et que la réalité s'éloignait souvent de la fiction.

En revanche, je me rappelais très bien ce que j'avais éprouvé la seule fois où je lui avais rendu visite, l'année précédente. Elle m'avait aidée à payer mon billet, pour venir passer quelques semaines de vacances en sa compagnie.

Je me souvenais parfaitement du moment où j'étais sortie de cet immense aéroport, où j'avais arpenté les plages de cette ville prolifique, les grandes avenues célèbres, Hollywood Boulevard, les magasins hors de prix où je n'avais rien pu m'offrir. Le parfait cliché de la touriste qui découvre la Californie.

Évidemment, pour une fille comme moi, c'était à la fois fascinant et envoûtant, comme un lieu de vacances qu'il fallait bien quitter à un moment ou à un autre.

Lorsqu'elle m'avait appelée pour m'annoncer qu'une de ses connaissances recherchait une traductrice, j'avais d'abord refusé. Pour moi, il était complètement insensé d'envisager une seule seconde cette proposition, qui allait me forcer à tout quitter pour commencer une nouvelle vie.

Pourtant, plus les jours suivants s'étaient écoulés, plus je m'étais rendue compte que les opportunités à Paris pour une fille de 21 ans, licence d'anglais en poche, étaient restreintes. Et puis, n'avais-je pas toujours rêvé d'être traductrice ? N'avais-je pas toujours aimé l'anglais au point de me l'approprier quasiment au même niveau que ma langue maternelle ?

J'en avais parlé à mes parents, qui s'étaient tout d'abord montrés dépités. Déjà qu'ils ne voyaient presque plus leur fille aînée, l'idée de laisser partir la cadette semblait insurmontable. Ma mère avait paniqué, mon père avait essayé, par le biais de grandes discussions, de me dissuader de suivre les traces de ma sœur. Puis ils avaient bien dû se rendre à l'évidence : cette opportunité valait vraiment le coup.

J'avais alors pris mon billet et trois jours plus tard, je me trouvais ici, à attendre dans cette salle d'embarquement où l'impatience générale était à son comble.

J'avais à peine eu le temps de dire au revoir à mes proches, ou même de faire une valise digne de ce nom. J'avais pratiquement tout laissé chez moi — enfin chez mes parents —, à part quelques livres et vêtements. Je me sentais démunie, même si étonnamment, je n'étais pas aussi angoissée que j'aurais pu l'imaginer.

Quand une voix grésillante annonça qu'il était enfin l'heure de monter dans l'avion, je restais quelques instants immobile, observant les voyageurs qui se ruaient vers le guichet d'embarquement.

Je ne savais pas réellement où j'allais, ni ce que je faisais de ma vie. Je n'étais pas effrayée, juste déboussolée de m'être montrée si spontanée, si téméraire. Bien que j'eusse malgré tout un tempérament impulsif, je n'aurais jamais pu imaginer me retrouver dans une telle situation, ni même être sur le point de bouleverser à ce point mon existence.

Je pris une grande inspiration ; avec une énergie qui me surprit moi-même, je me levai de mon siège avant de suivre la foule.

De toi à moi (with love) - Partie 1 -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant