L'éducation de Jane Shaw

21/ Les affres d'un lord

Lord Carver-Hill fait les cent pas dans la bibliothèque de son père. Il est perturbé. Cela se voit à sa mise un peu désordonnée. À son air absent. Sombre.

Il sait où Jane Shaw se trouve. Il sait chez qui elle travaille maintenant.

Après la réception de Greenday, il a fait mener une petite enquête par un professionnel et s'est rendu compte avec dépit que Lady Stratton l'avait devancé sur tout. Cette vieille femme lui avait ravi Jane et l'avait enfermée à double tour dans son cercle. Et à n'en pas douter, la jeune femme s'en trouvait tout à fait bien. À l'abri de lui. À l'abri de la tentation de lui.

Il devait trouver un moyen de la voir.

Il pourrait peut-être lui rendre visite ? Mais sous quel prétexte ? La marquise ne fait pas partie de ses amies proches. De celles de sa mère, peut-être. Mais pas des siens.

Et il ne peut inciter sa mère à inviter cette lady sans éveiller des soupçons. Quels qu'ils soient. Cela pourrait provoquer un malentendu fâcheux. Il n'a pas envie de jouer la comédie.

Savoir Jane si proche et ne pas pouvoir même la voir ! Il enrage ! C'est un enfer auquel il est condamné bien malgré lui.

— Tiens ? Marcus ? Je te croyais parti depuis longtemps. Il y a un problème ? Tu ne sembles pas dans ton assiette. À bien y réfléchir, cela fait plusieurs jours, voire semaines, que tu ne sembles pas dans ton assiette...

— Camilla. Je t'en prie. Ça n'est pas le moment...

— Le moment de quoi ? D'interrompre tes sombres pensées ? Que se passe-t-il, mon frère ? Avons-nous des problèmes financiers qui pourraient empêcher le mariage d'Anna ? Parce que si c'est le cas, ce serait vraiment une bonne nouvelle !

— Quoi !? Camilla ! Si tel était le cas, et je ne dis pas que ça l'est, je n'en parlerais pas avec ma petite sœur de 15 ans ! Quant au mariage d'Anna ! Fais-toi à l'idée, car il a lieu dans quelques jours !

— Je sais ! Quelle stupidité de ne pas attendre le printemps ! Un mariage en hiver ! Juste avant noël qui plus est ! Vraiment ! Quelle idée stupide ! Je suis sûre que cela vient des Greenday ! Anna n'aurait jamais souhaité se marier avec un manteau ! Elle qui adore tant les fleurs de printemps ! Elle n'aura droit qu'à ces roses de noël si déprimantes...

— Camilla...

— Je sais. Je dois arrêter de me lamenter ! Mais tu sais, Lady Greenday, la mère de Charles, elle est si autoritaire et exigeante. J'ai peur pour Anna.

— Arrête de dire des sottises. Lady Greenday adore Anna. Elle la trouve parfaite. Ce qu'elle est.

— Ce que je ne suis pas. C'est exactement ce que cette vieille chouette à sous-entendu à la réception.

— Alors prouve-lui le contraire au mariage ! Au lieu de te contenter d'une vieille robe retouchée de l'une de tes sœurs, demande à mère de te faire faire une robe à ton goût. Une robe qui te rendra parfaite à tes yeux.

— Lui prouver le contraire ?... Je n'y avais pas songé. A-t-elle tant d'importance pour que je me fatigue à lui prouver quoi que ce soit ?

Marcus s'est effondré sur le fauteuil le plus proche de celui de sa sœur en soupirant. Il ferme les yeux un instant. Mais ne voit que Jane. Elle l'obsède.

— Que se passe-t-il, Marcus. Pourquoi as-tu l'air si malheureux ?

— Cela se voit-il tant ?

— Parfois, oui. Ton regard disparaît. Il vogue vers d'autres horizons. Des horizons qui nous sont inconnus. Songes-tu à partir ? Comme père autrefois ?

— Non, Camilla. Je ne vous abandonnerai pas pour voyager à travers le monde. Il y a trop à faire ici.

— Alors, c'est que tu ne t'ennuie pas. Tant mieux. C'est autre chose. Une femme ?

— Camilla. Tu te souviens ? 15 ans.

— Et toi, tu te souviens ? Je suis celle qui a la tête la mieux faite de cette famille. La seule qui ne finira pas mariée à un bon parti.

— Ah ! Oui ! J'avais oublié, le chaudronnier.

— C'est ça. Le chaudronnier ou le maréchal ferrant.

— Ça n'empêche que tu n'as que 15 ans, Camilla.