35/ Conversation intime

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Les deux femmes échangent un long regard dans la pénombre du fiacre. Les yeux argent de Jane plongent dans ceux bleu azur de Lady Stratton. La jeune femme ne repousse pas la sensation que cela fait naître en elle. Ce sentiment de sécurité et de réconfort que seule sa mère lui apportait quand le chagrin était si fort qu'elle avait l'impression de sentir son âme se déchirer en minuscules morceaux. Cette sensation de pouvoir compter sur quelqu'un l'emplit toute entière. Dans un élan affectif qu'elle ne se connaissait pas, elle enlace Lady Stratton qui lui rend son étreinte.

La lady sourit de cette spontanéité dont elle a perdu elle-même l'habitude. Jane Shaw n'est en réalité qu'une toute jeune fille dans un monde parfois si dur avec elle qu'elle s'imagine plus âgée, et surtout plus expérimentée, pour tenter de faire front. Car, si elle a été préparée à subvenir à ses besoins seule, si elle a même été entraînée physiquement à être plus forte pour pouvoir se défendre, on ne lui pas révélé les clefs qui permettent de comprendre les mystères du cœur et des sentiments.

Ce rôle-là, Lady Stratton veut l'endosser. Elle veut aider Jane à ne pas avoir peur et à accepter tous ces tumultes qu'elle repousse si fort pour le moment. Elle veut l'aider à achever sa formation de femme. Son plan est là pour ça aussi.

— Jane. Je crois que vous allez devoir desserrer vos bras si vous voulez me garder en vie. À moins que tout ce déploiement affectif ne soit qu'un moyen détourner de m'éliminer ? Lady Carver-Hill aurait-elle réussi à surmonter son aversion pour le petit peuple ? Vous aurait-elle soudoyée ?

— Lady Carver-Hill veut votre mort ? s'exclame Jane en s'écartant.

Son joli visage reflète toute la surprise qu'elle a d'entendre une telle chose.

— Mais, vous sembliez si amie pendant la soirée ?

— Feinte. Hypocrisie... Je vous ai dit que j'étais fatiguée de tous ces jeux, mais cela ne veut pas dire que j'ai cessé d'y jouer. Lady Carver-Hill et moi nous détestons cordialement. Mais il me fallait un moyen de permettre une ouverture à son fils, dit Lady Stratton en regardant amusée, le visage de plus en plus surpris de Jane.

— Une ouverture ?

— Comment croyez-vous qu'il ait su où vous trouver ce soir ? Il fallait qu'il vous approche, qu'il vous touche, sous peine de subir les affres d'une combustion spontanée sous les yeux surpris de toute l'assemblée.

Jane ne peut s'empêcher de sourire à cette image. Elle revoit dans les yeux de Lord Carver-Hill la souffrance que lui causait l'espace qu'elle avait imposé entre eux. Et elle savait que si elle ne le montrait pas de manière aussi ostensible, elle ressentait le même besoin d'être près de lui. Tout près.

— Vous lui avez donc permis de m'approcher. Seule.... Vous m'avez fait prendre un énorme risque.

— Bien sûr que non, ma petite. Je n'étais pas loin.

Jane pique un fard phénoménal en entendant la réponse de Lady Stratton. Que quelqu'un ait pu assister au débordement qui avait eu lieu entre elle et Marcus Carver-Hill était déjà l'une de ses inquiétudes, mais qu'en plus, ce soit sa lady ! Elle était extrêmement gênée. Elle tentait de se remémorer ce qu'elle avait fait, et surtout laissé faire.

— Ne vous inquiétez pas ainsi, Jane. Vous avez été stupéfiante. Une telle audace et une telle force dans un corps d'apparence aussi fragile !

Cette réplique ne rassure absolument pas Jane qui tente de se soustraire au regard de Lady Stratton. De quoi parle-t-elle réellement ? De l'indécence de sa conduite ou de la rupture brutale qui a suivi ?

— Allons, jeune fille, nous allons avoir des conversations bien plus intimidantes et dérangeantes dans les jours prochains.

— Vraiment, chevrote avec peine, Jane toujours rougissante.

— Il le faut si vous voulez survivre au lord qui se consume pour vous. Et surtout en jouir un peu... lâche Lady Stratton avec un grand sourire en serrant les mains de Jane qu'elle a de nouveau emprisonnée dans les siennes.

— Je ne sais pas si je suis capable de...

— De jouir de cet homme qui n'attend que ça ou de discuter de tout ceci avec moi ?

— Vous êtes vraiment...

Lady Stratton éclate alors de rire.

— Ma chère, je vais vous laisser une nuit de répit, pour que votre teint retrouve sa délicatesse habituelle, mais vous n'y couperez pas. Nous devons discuter très sérieusement d'un grand nombre de choses.

L'éducation de Jane ShawWhere stories live. Discover now