38/ La fin d'une passion

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Il y avait eu des rendez-vous arrangés que les amants avaient appréhendés chacun pour des raisons différentes. Elle parce qu'elle devait inventer de nouveaux stratagèmes pour se rendre indésirable aux yeux de James. Lui à cause de sa jalousie de plus en plus grande envers son propre fils. Mais Arthur ne pouvait refuser de soutenir James dans la conquête de l'éblouissante et inaccessible Mlle Stratton. Comment aurait-il pu justifier le contraire ?

Et Arthur avait beau faire l'amour avec ferveur à son ardente maîtresse, il n'arrivait pas à lui faire oublier qu'il la poussait dans les bras de son fils. Il la mettait dans une position difficile. Comment allait-elle éconduire le jeune Carver-Hill alors qu'elle aimait si passionnément son père ?

Dans les instants de pur désespoir, ils avaient envisagé qu'elle se marie avec James. Elle aurait alors été à la portée d'Arthur sans entrave, ni secret. Mais elle s'y refusait. Elle ne pouvait faire cela au jeune homme. Aussi arrogant et stupide soit-il, elle ne pouvait l'humilier de la sorte. Et puis, si elle tombait enceinte ? Non. Elle ne pouvait vivre dans une telle luxure. Elle se voulait libre. Pas enchainée à jamais.

La situation était dantesque. Elle souffrait énormément. Et les rares moments d'intimité avec Arthur ne lui rendait plus aussi souvent le sourire. Leur relation changeait. Son amant et amour alternait moments de fougue sauvage et de désespoir insondable. Tout était devenu trop compliqué. Elle le voulait pour elle seule. Et lui ne pouvait envisager de la partager.

Cette situation étrange et détestable avait-elle eu raison de leur vigilance ? Ce baiser volé entre deux portes à un moment qu'ils pensaient propice, était-il en fait, un acte manqué ? Eugénia n'aurait pu le dire. Mais il avait scellé la fin de leur histoire, car James les avait vus.

S'en était suivi une scène épique entre le père et le fils. Le plus jeune ne pouvant pardonner au plus âgé d'avoir obtenu de celle qu'il croyait sincèrement aimer, ce qu'il n'aurait probablement jamais désormais. James n'était pas seulement en colère. Il était jaloux.

Et quand il avait réalisé que son père n'avait en rien suborné sa fiancée, qu'elle-même était amoureuse de lui, il était devenu fou de rage d'avoir été tourné en ridicule. Sa jalousie était devenue fureur.

Pourtant, il ne s'était rien passé. La tempête était restée à l'intérieur du foyer. Personne n'en avait jamais rien su. James Carver-Hill avait simplement cessé de faire sa cour à la jeune Lady Stratton qui, elle-même, n'avait plus jamais remis les pieds au domaine. Quant aux amants, ils avaient cessé de se voir aussi radicalement que si on avait érigé un mur infranchissable entre eux.

Eugénia avait cru en mourir. De sources sûres, Arthur aussi. Ils ne s'étaient pas rencontrés, ni vus pendant des mois. Eux, dont les peaux s'étaient si souvent touchées pendant dix incroyables années. Le manque de l'autre avait été intense. Insupportable.

Pendant de longues semaines, elle avait espéré à chaque visite que ce soit lui, éperdu d'amour, prêt à quitter sa femme, prêt à braver la société pour elle. Mais il n'était pas venu. Il l'avait abandonnée. Seule avec son cœur brisé.

En réalité pas si seule. Mais personne n'en avait rien su non plus. Pendant trois mois, elle avait attendu un enfant. Fait du hasard ? Là encore, elle l'ignorait. Son jeune corps qui était resté stérile pendant dix ans, avait décidé de fructifier alors même que son amour disparaissait de sa vie. Mais le plus cruel était à venir.

Lors d'une réception où elle avait daigné se montrer alors que déjà toute la haute société murmurait qu'elle était devenue si excentrique qu'elle ne trouverait jamais d'époux suffisamment complaisant pour accepter toutes les lubies qu'on lui prêtait, à tort bien sûr, elle l'avait vu arriver au bras de sa femme et accompagné de son fils. Elle le trouva vieilli, mais le visage serein. Jusqu'à ce qu'il la voit.

Alors elle avait compris. Elle avait compris que cet amour partagé et transcendé par le désir de l'autre avait trouvé une place dans sa mémoire, mais ne renaitrait jamais de ses cendres. Les conventions sociales avaient gagné. Elle n'était plus que le souvenir intense et heureux d'un vieillard. Une passion à jamais éteinte.

Ce soir-là, sa silhouette s'était redressée, et elle avait retrouvé l'éclat que tous avaient cru perdu depuis plusieurs années. La Marquise d'Ormondis n'était pas morte, ni anéantie. Elle avait 25 ans et rayonnait d'une beauté éblouissante.

Elle avait beaucoup dansé, mais avec aucun membre de la famille Carver-Hill qu'elle avait toisé avec mépris et condescendance. Elle avait vu le regard bouillant de haine de James. Celui plus froid que la glace de sa mère. Et la main d'Arthur qui les avait apaisés.

Eugénia avait triomphé de toute cette famille ce soir-là. Mais était rentrée vaincue par la douleur physique. Il y avait eu beaucoup de sang. Ignorant l'état de sa maitresse, l'intendante avait fait au mieux. Le jeune médecin appelé en urgence aussi. Il lui avait sauvée la vie, mais pas celle de ce qui grandissait en elle. Elle lui en était encore reconnaissante aujourd'hui, même s'il ne pouvait plus rien pour elle désormais.

Ensuite, les années s'étaient succédées. Les amants également. Mais aucun qui l'amène vers les sommets atteints avec le Comte de Farmor. Jamais.

La mésentente avec la mère de Marcus venait des révélations que James avait faites à sa jeune épouse juste après son mariage. Il lui avait interdit de fréquenter Lady Stratton. La pauvre n'avait jamais eu les détails. James en aurait été humilié. Mais Lady Carver-Hill savait que la marquise s'était mal comportée envers son époux, et cela suffisait pour en faire une ennemie.

Et ce qu'Eugénia Stratton s'apprêtait à faire aujourd'hui, allait sans doute conforter l'inimitié de Lady Carver-Hill.

L'éducation de Jane ShawWhere stories live. Discover now