58/ Révélations indécentes

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Le fiacre se fraie un chemin dans la neige. La journée s'annonce longue et chaotique. Sir Stevenson a tenu à pourvoir les deux voyageuses de couvertures supplémentaires. Elles n'auront pas froid. Il leur a fourni également des chaufferettes qui ont tenu jusqu'au milieu de la journée.

Stevenson s'est montré charmant ce matin. Tout à fait détendu. Quant à Jane, elle semblait reposée et épuisée toute à la fois. Lady Stratton ne connaît qu'une chose pour rendre une femme ainsi. Elle n'est pas dupe. Il s'est passé quelque chose cette nuit. Mais elle s'étonne que Jane ait cédé si facilement. À moins que...

— Jane ?

— Oui, Lady Stratton.

— Allez-vous rester muette à jamais maintenant que vous savez ce qu'est le vrai plaisir de la chair ?

Jane sursaute à cette réplique. Elle s'est appliquée ce matin à agir comme d'habitude. Elle a juste évité de croiser le regard de Sir Stevenson. Rien que de penser à lui, à son sourire, à ses mains, elle rougit immédiatement.

— Je vois. Cessez donc de penser à lui. Et dites-moi ce que vous avez fait.

— Je ne peux pas, my lady. La décence me l'interdit.

— La décence ! Ha ! Elle a bon dos ! Vous êtes une petite dévergondée, et je crois que j'en suis responsable !

— My Lady ! Ça n'a rien à voir avec vous ! Je vous assure ! Rien n'est votre faute ! D'ailleurs, il n'y a pas eu de faute !

— Je vois. Du plaisir, alors.

— Oui, murmure à peine Jane.

— Beaucoup ?

— Oh... Oui. Beaucoup. J'ignorais que ce serait si... plaisant de...

Lady Stratton, qui jusqu'à présent avait affiché un visage sévère, sourit largement.

— Jane. Vous vous souvenez que c'est que je vous ai souhaité. Beaucoup. Souvent. Longtemps. Mais, désormais je ne suis plus votre lady. Je ne suis plus votre maîtresse, mais votre amie. Je veux connaître les détails de votre nuit de débauche ! Les amies partagent avec les plus nécessiteuses !

Jane a un hoquet de surprise.

— Vous souhaitez vraiment tout savoir ?

— Bien sûr. Sinon, je ne vous autorise pas à dormir pendant le voyage pour récupérer. Et je vous oblige à me lire le livre le plus soporifique que je garde dans mon sac à portée de main.

Jane sourit à cette punition bien dérisoire.

— J'ai peur de choquer vos chastes oreilles, dit-elle avec un brin d'ironie.

Lady Stratton donne une petite tape sur le bras de Jane en lui faisant les gros yeux.

— Cessez de penser que je suis trop vieille pour jouir des hommes, jeune fille. Si je n'avais vu comment ce gentleman vous dévorait littéralement de yeux, c'est dans mon lit qu'il aurait fini. Et croyez-moi, nous aurions été bien plus loin que ce qu'il a pu atteindre avec vous. Je n'ai pas d'honneur ou de vertu à sauver, moi !

— Madame ! Vous êtes impossible ! Même après ma nuit de débauche vous arrivez à me faire penser que vous êtes la plus grande libertine de Londres !

— Mais c'est exactement ce que je suis. Et ma plus grande victoire, tient du fait que personne ne le sait !

— À part les Carver-Hill !

— Même les Carver-Hill ! Enfin, maintenant si ! Il y a un Carver-Hill qui a quelques informations à ce sujet, mais il se taira.

— Vous avez tout raconté au Comte !

— Tout ? Soyons honnête, non. Pas tout. Le pauvre chéri ne s'en serait pas remis. Et puis ça aurait pu lui donner des idées à votre sujet qu'il n'a vraiment pas besoin d'avoir.

— Lady Stratton ! Comment faites-vous pour me mettre dans des situations pareilles !

— Ah ! Parce que c'est ma faute maintenant si tous ces hommes sont fous de vous ! Je crois Jane que vous ne rendez pas bien compte du potentiel de séduction qui est le vôtre. Vous n'êtes pas belle au sens classique du terme. Je connais au moins une bonne dizaine de jeunes filles à marier qui vous surpassent en beauté. Vous, vous avez autre chose. Vous êtes magnétique. Votre sensualité naturelle même dissimulée sous le vernis des bonnes manières. Vos yeux. Votre silhouette. Votre caractère. Votre combattivité. Vous êtes une femme prodigieuse. Si je n'avais pas été autant attirée par les hommes, je crois que j'aurais succombé moi-même à vos charmes, ma chère !

— My lady... je ne sais pas quoi répondre à cela.

— Mais rien. Assez de compliments ! Je veux tout savoir et surtout les détails croustillants.

Jane rougit mais se met à raconter, alors que Lady Stratton se remémore ses propres audaces de jeune fille. Les folies qu'elle a faites, d'abord avec Arthur qui l'a initié à tant de choses délicieuses. Puis avec les autres. Elle songe que la rencontre avec ce Sir Stevenson est une chance pour Jane et pour elle. Lady Stratton n'aura pas à expliquer à la jeune fille tout ce qu'elle a découvert par elle-même cette nuit.

Jane Shaw sait à présent tout ce que devrait savoir une jeune fille avant de rencontrer l'amour ou se marier. Tant de jeunes filles ignorantes sont données en pâture à des pourceaux qui les traumatisent en les laissant penser que leurs manières de rustres sont les seuls possibles. Que le plaisir de la chair leur est interdit à elle. Qu'elles ne sont que le réceptacle de leur plaisir masculin et la matrice de leur progéniture... quelle tristesse.

Jane ne sera pas de celles-là. Et si tout se passe bien avec Lord Carver-Hill, elle aura non seulement ce plaisir si souvent refusé aux femmes, mais un amour puissant et inconditionnel dont elle rêve sans penser jamais l'atteindre.

Jane Shaw est bien celle dont Lady Stratton a besoin. Celle dont elle a rêvé si souvent. Elle regrette de ne pas l'avoir rencontrée plus tôt. Mais peut-être que plus tôt, elle ne l'aurait pas remarquée ? Peut-être n'aurait-elle pas été prête elle-même à ce qu'elle a commencé à mettre en branle ? Le moment est parfait, en somme. Eugénia est prête. Jane aussi. Encore deux ou trois détails. Peu de choses. Et tout sera en place pour que sa protégée triomphe du monde contre lequel elle se bat si peu efficacement à cause de la situation que la naissance lui a imposée.

L'éducation de Jane ShawOù les histoires vivent. Découvrez maintenant