Chapitre 28 : 2129 (époque : 2129) (1/2)

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Il se lève. Il se couche. Il ne sort plus.

Il n'a plus la force de se laver. Il ne mange presque plus.

« Une pomme pourrie ».

C'est ainsi qu'il se présente.

C'est ce qui lui correspond.

Son identité, il a la vague impression de n'en avoir jamais eu.

Sa femme est morte.

Ou bien il est mort quand sa femme est partie en des lieux reculés que les vivants côtoient abstraitement.

Il ne sait plus depuis combien de jours, semaines, mois... Il a perdu la notion du temps.

Il ne sait plus.

Il ne se souvient même plus comment elle est partie. Il se souvient de l'hôpital, de l'échange avec ce médecin... puis plus rien, le néant.

Les circonstances, la situation, le cadre.

L'intelligence artificielle de son automate indique qu'il souffre de troubles obsessionnels. Il dirait simplement qu'il répète le présent afin que son esprit efface les souvenirs. Le passé détient cette douleur particulière apte à transcender les époques.

Evidemment, cela affecte son comportement. De ses périodes traumatiques, il garde des clignements accentués des yeux et des nervosités dans le corps.

Entouré de vêtements humides et des différentes formes de vide que l'absence dessine dans sa grande créativité, il repense aux moments d'une époque révolue.

Quand le présent est absent et l'avenir effacé, le passé semble être un excellent substitut.

"Semble être."

La journée, la nuitée, il revoit Lilas Mill sans la respirer, c'est le propre des fantômes qui nous accompagnent... images sans odeurs que nos sens effacent sans totalement les oublier.

Rayonnante, entourée des bâtiments et de la jeunesse de l'université. Elle est là, magnifique. Elle le regarde, l'embrasse et lui sourit. Alors, il entend du bruit derrière les arbres. Il lui dit de ne pas bouger, qu'il revient tout de suite. Le son augmente. Il s'approche de l'arbre et il comprend qu'il n'aurait pas dû la quitter. Il se retourne. Il court en direction de l'arbre qui n'existe plus.

Elle n'est plus là. Les orages se rassemblent. Il a très peur. Il culpabilise.

Il savait qu'il ne devait pas partir.

Tout ce temps passé à travailler, tandis que sa femme se mourrait en silence.

La grêle se mélange au tonnerre. Il a froid, il tremble. A ce moment, il réalise qu'il est seul. Point de grêle et d'orages dehors, le froid provient du corps issu d'un cœur qui ne sait comment se réchauffer de nouveau.

Il se réveille de panique, en sueurs.

Il regarde derrière lui, il a la sensation désagréable d'être surveillé, épié.

Son visage est collé à un livre déchiré de colère, encore un. Chaque objet devient source d'une décharge émotionnelle.

Il jette l'épave à travers le petit appartement. Il se passe la tête sous l'eau, puis s'affale dans le canapé malodorant. Des milliers de feuilles, schémas et posters d'équations mathématiques et de cartes géographiques d'époques variées encombrent ses murs. Il les retire tous, en brule certains et regroupe les autres dans une poubelle.

Il redécouvre la couleur verte de ses murs. Il sourit, le vert est la couleur de l'espoir... 

"Quel énième biais de l'esprit humain... l'espoir est le privilège de ceux qui n'ont pas encore perdu leur âme."

Dr J. Stevens FACE aux GARDIENS [ShortList Watty22... ss Edition] (Partie 2)Where stories live. Discover now