Je t'aime

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C'était dans le royaume nordien près de la frontière de Barbra que le camp avait été dressé. La vallée de Kala était le seul passage praticable par une armée pour entrer dans le pays, mais il était aussi le plus dangereux pour les envahisseurs. L'été, la chaleur faisait fondre la glace, décrochant des blocs qui pouvaient ensevelir une armée. L'hiver, le passage était praticable, mais les tempêtes rendaient l'avancée difficile et le froid avait raison des hommes.

Cette unique entrée avait été tenue tout l'hiver par une armée du nord mais mai se finissait et les jours plus chauds étaient arrivés. Le passage s'était bouché deux jours plus tôt par des avalanches. Si l'ennemi se risquait sur la route, il devrait déblayer le passage et avec les dangers de l'été, l'hiver serait là avant.

L'armée tionienne avait terminé sa mission et elle se préparait à rentrer dans la capitale, où les hommes seraient accueillis en héros. Les soldats, le cœur léger, ouvraient des tonneaux de vin et cuisinaient des animaux en tous genres que le village le plus proche leur avait livrés. Une grande fête allait avoir lieu pour célébrer la victoire et les fiançailles du commandant.

Au milieu du campement, une grande tente avait été dressée dans laquelle un bain en bois fumant était installé. À l'intérieur du bain la seule femme du camp se lavait profitant de son premier vrai bain depuis le début de la bataille.

L'eau chaude berçait ses cheveux coupés au carré et son corps d'albâtre disparaissait sous une mousse blanche. Son visage rayonnait de bonheur car à sa main gauche une alliance en or incrustée d'un petit diamant brillait sous la lumière des chandelles. La bague de fiançailles venait de l'homme qu'elle aimait, il lui avait fait sa demande devant son armée.

La jeune femme n'avait su retenir ses émotions et lui avait sauté au cou pour l'enlacer sous les applaudissements des hommes heureux. Elle se remémora la scène pour être certaine de n'oublier aucun détail quand on vint l'interrompre dans ses pensées.

La tête rousse de Léon passa à travers les voiles qui séparaient la chambre de la salle de bain improvisée. Elle lui sourit de toutes ses dents quand il s'approcha d'elle pour lui voler un baiser avant de s'installer sur le tabouret à côté du bac. Son regard essayait de transpercer la mousse qui cachait le corps de sa fiancée. Elle profita de la situation pour le taquiner.

- Quel genre de gentilhomme dérange le bain d'une lady ?

- Quel homme mauvais je suis ! Mais tu es ma femme et tu le seras pour toujours !

Il se pencha pour embrasser ses joues rosies, mais elle l'éclaboussa.

- Écoute comment ils s'amusent, ne les faisons plus attendre.

Léon se résigna. Il savait qu'il pourrait profiter d'elle ce soir et pour le reste de sa vie.

- Tu es mon soleil. N'oublie pas que ce soir tu es à moi !

La jeune femme mima un baiser quand il quitta la pièce. Elle termina son bain puis sortit pour se préparer. Heureusement qu'elle n'était pas à la Cour, car sans dame de compagnie elle ne pouvait mettre que des tenues simples. Les pantalons et chemises avaient remplacé les robes. Sa mère serait tomber dans les pommes si elle l'avait vu ainsi vêtu : le pantalon s'arrêtait au-dessus des cheville et moulait son corps en défiant les convenances.

Alors qu'elle enfilait ses bottes, un mauvais pressentiment lui étreignit le cœur : son instinct lui hurla qu'il y avait un problème. Elle tendit l'oreille : aucun bruit. Léon avait cessé d'aiguiser sa lame. Elle lâcha son soulier et se précipita hors de la pièce à la recherche de son fiancé.

Le chapiteau était plongé dans une semi-obscurité, éclairé par quelques lampes à l'huile à l'entrée. Face à elle, Léon à genoux près du lit, ses mains sur son ventre, les pieds dans une flaque. Entre eux un homme de dos enveloppé dans une cape, un poignard ensanglanté dans une main et l'autre sur l'épaule du jeune noble à terre. La flaque était du sang ; celui de son fiancé !

L'homme vêtu de noir énonça dans l'ombre :

- Blanc mourra emportant vert, rouge et noir dans-

Le choc violent coupa sa respiration. La jeune femme avait ignoré la peur qui lui tordait l'estomac et avait pris l'épée dans le fourreaux blanc avant de lui rentrait dedans.

L'assassin roula au sol, lâcha son arme et resta inerte quelques secondes. Ce laps de temps permit à l'assaillante, cheveux dans les yeux, de se jeter sur lui lame sur la gorge. Elle la leva prête à le blesser au visage, mais un gémissement la coupa dans son élan. Léon chancela et s'écrasa sur le tapis. Elle se releva et planta rageusement l'épée dans la cuisse de l'homme. La lame traversa les tissus, à son passage les os craquèrent et la chair se déchira. L'assassin hurla de douleur et s'évanouit.

Elle eut envie de vomir mais elle se précipita sur son fiancé, le positionna entre ses jambes et appuya sur son ventre pour stopper l'hémorragie. Elle cria au secours.

Personne ne vint.

Impuissante, elle continuait d'exercer une pression lui chuchotant des mots réconfortants. Léon lui prit ses mains tachées et essuya du mieux qu'il le put les larmes qui coulaient.

-Mon soleil n'ait pas peur... Je suis là... Je veux te dire que si...

- Non ! le coupa-t-elle. Tu ne peux pas partir ! Ce n'est pas une petite lame qui va avoir raison de toi ! Tu es si fort, tu ne peux pas...

Ses sanglots l'empêchaient de continuer. Ses mots se noyaient dans sa bouche, elle n'arrivait pas à se calmer. Elle savait qu'il était trop tard, mais l'accepter serait accepter qu'il parte et elle en était incapable. Lorsqu'il ferma les yeux, elle le gifla de désespoir. Il les rouvrit stupéfié.

- Tu m'as frappé !

- Tu as abandonné !

Il rit doucement, mais son visage se tordit de douleur.

- Tu restes fidèle à tes principes même dans les situations les plus dramatiques. Tu es ma fiancée, mais plus que tout, tu mon soleil. À cet instant je suis égoïste et j'espère que tu ne m'en tiendras pas rigueur mais promets-moi... Promets-moi de vivre. Promets-moi que tu seras heureuse.

Il tendit son bras et attrapa son doux visage entre ses mains calleuses. D'un geste tendre, il l'embrassa.

Ce n'était pas la première fois mais la dernière. Les larmes se mêlaient au sang.

Épuisé, il posa son front contre le sien et lui murmura dans son dernier souffle :

- Je t'aime


-Bonjour les gens-

Merci d'avoir lu le prologue en espérant que la suite vous plaira

Le destin d'AnnaWhere stories live. Discover now