Chapitre vingt-trois

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─ Comment te sens-tu ? me demande Saya en enfilant sa tenue.

─ Ca va.

Elle hoche lentement la tête en parcourant mon corps du regard. 

─ Tu es sûre ?

Je sais ce qu'elle se dit. Elle pense à mes rondeurs, se demande si mon talon ne va pas succomber sous mon poids en plein service. Je force le sourire, peut-être que c'est moi qui me pose ces questions idiotes.

─ Oui.

Si elle croit qu'en un mois j'ai eu le temps d'oublier qu'elle m'avait insulté, elle se met le doigt dans l'œil. Fanta et elles devaient faire une belle paire d'hypocrites avant mon arrivée. Je n'arrive pas à croire qu'elle m'ait fait ça. Qu'ils m'aient menti.

─ Ca a été compliqué de gérer l'hôtel après ton départ..

Voilà, c'est bien la Saya que je connais. Elle se préoccupe de ses petits problèmes sans penser aux autres Je lâche un rire nerveux et m'empresse de rejoindre la salle principale avant de lui accorder plus de crédit que ce qu'elle mérite réellement. Je tombe nez à nez avec Fanta. Un nouveau rire m'échappe. Si je pensais pouvoir me débarrasser d'elle si facilement, c'est loupé. Elle m'ignore complètement et tant mieux. La journée passe très lentement, j'ai faim et manque l'évanouissement à plusieurs reprises. A chaque pas, j'ai l'impression qu'on m'enfonce un clou dans le talon. Saya me rappelle à l'ordre, j'oublie des commandes ou je fais répéter les clients plusieurs fois.

─ T'es complètement ailleurs, tu ne veux pas demander une semaine de plus à ton généraliste ? me recommande-t-elle.

J'hésite puis me ressaisis. Non. C'est juste une grosse fatigue après avoir passé un mois à me réveiller à 11 heures, à manger et dormir, tout ça sans quitter mon domicile. C'est normal mais d'ici quelques jours, tout ira mieux. Je dois me forcer sinon je ne sortirais jamais de cette situation. Le trajet en train est ennuyant sans livre et téléphone portable. Alors je ne me retiens pas plus et m'arrête à une station pour acheter un pain au chocolat. En fouillant dans la poche de mon jogging, je tombe sur la lettre de Jaro que j'ai relu plusieurs fois pour me réconforter, me disant qu'il y a quelqu'un qui attend que je sorte de cette situation. C'est peut-être ma seule chance de me faire un ami. Aurais-je passé autant de temps à déprimer si j'en avais ? Je ne pense pas. Mon père m'a proposé mille et une activités mais je les ai toutes refusées. Alors ami ou pas, qui sait si ça aurait changé quelque chose. Je fais demi-tour, le prochain train est dans quinze minutes. En entrant dedans, je crois voir Sultan sur le quai. Je veille à me mettre côté couloir et non fenêtre pour ne pas perpétuer ces hallucinations. C'est mon repas préféré qui m'attend quand j'arrive à la maison. Mes parents dansent, la musique me fait presque mal aux oreilles. 

─ Qu'est-ce qu'on célèbre ?

─ Amaliah, ma mère me prend dans ses bras, viens ma fille ! Ton retour au travail, évidemment.

Est-ce une plaisanterie ou je dois me réjouir car je ne suis pas la seule à considérer cette étape comme une victoire ? Je fronce les sourcils. 

─ Vraiment ?

─ C'est bon signe, tu vas beaucoup mieux, non ?

Je triture le papier qui n'a pas quitté mes mains depuis la station Créteil-Pompadour.

─ Oui.. je pense.

─ Tiens, sers-toi.

─ Je vais me laver les mains.

UdaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant