Gabin - Mordue de travail

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Victoire finit par me rejoindre dans l'habitacle, où je l'attendais sagement durant ses négociations. Elle démarre et salue les agents de police de la main tout en s'engageant dans la rue. Son geste a l'air sincère, non provocateur, et, en général, je m'émerveille de telles démonstrations bienveillantes... mais elle a usé de son nom pour faire sauter une amende.

- Qu'il y a-t-il ? remarque-t-elle.

Je marmonne :

- Si vous aviez été un homme lambda, perdu, vous l'auriez eue, cette prune. Mais comme vous êtes à moitié propriétaire du lieu et que vous êtes une femme pas désagréable à regarder, voilà.

- Hum... Je dirais plutôt : comme je respecte l'article R.110-2 du Code de la route en étant proche de mon véhicule et prête à le déplacer, que je suis en arrêt ici dans le cadre d'une livraison et qu'il s'agit en plus d'une zone « partagée »... Je ne suis pas en infraction.

- Vous stationniez... Depuis plus de trente minutes, si je ne m'abuse.

- Oui, monsieur le juge, mais cela n'a pas été retenu contre moi. Et merci, pour le compliment.

Je croise les bras.

Son enthousiasme ne fond-il jamais ?

Même hier soir, malgré la manière dont je me suis adressée à elle pour l'envoyer paître, elle n'a pas perdu la face.

Je ne la relance pas, analyse le GPS où j'ai rentré la première adresse qui m'est venue pour manger un bout dans le coin.

Dire que j'ai juste proposé ça pour être courtois...

Enfin... aussi, et surtout, pour échapper à ces paparazzis intrusifs qui avaient toute la façade vitrée pour me voler mon intimité.

Les bouchons parisiens ne nous épargnent pas, le trajet risque d'être long avec une si courtoise conductrice. Le GPS affiche une arrivée dans un quart d'heure seulement, et je regrette Azzedine... Avec lui, nous serions déjà sur place : il aurait doublé cette voiturette sans permis, klaxonné sur les vélos pour avoir la voie libre... Bref, il aurait été un brin plus... dynamique. Cette Victoire, elle est... d'un calme déconcertant.

- Vous pouvez changer la station, si vous le souhaitez.

Mon attention retombe sur l'autoradio. C'est un tableau numérique plutôt sophistiqué, qui promet un tas de fonctionnalités et le son associé est de bonne qualité.

- Pour tout vous avouer, en voiture n'importe quelle musique est un bruit de fond... Je n'écoute pas réellement.

- Jamais ?

- Rarement.

- Et lorsque, rarement, vous en écoutez, dans quel genre est-ce ?

- Du... classique.

Ne pas trop en dévoiler.

C'est vrai, en quoi aurait-elle besoin de connaître mes goûts ? Elle est bon vivant et meuble le silence, rien ne m'oblige à en faire de même. Elle n'est qu'une inconnue de bref passage dans mon existence. Je repartirai avec le bracelet cet après-midi et ce sera beaucoup si nous nous saluons encore lors des prochains galas. Bien que je ne l'aie jamais vu auparavant.

Je m'en serais souvenu.

Attentive à la route, la miss pipelette ne relance pas la conversation. J'ai tout le luxe d'inspecter son profil. Sa chevelure d'un blanc polaire, coupée au carré, entoure son fin visage et souligne son teint rosé. Ses iris gris sont ancrés à l'horizon et c'est un nez court et droit qui surplombe sa bouche ronde maquillée de rouge vif. Cette couleur sur ses lèvres est visiblement sa marque de fabrique, elle l'arborait hier soir également. Il faut dire que ça lui sied plutôt bien... ça la rend un peu moins... fade.

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