Love And Assets / 13% D'intérêt(s)

Gabin - Et si ?

Je fixe la bijoutière et ma colère ne lui est plus destinée : elle ne sait pas davantage que moi à quoi rime cette cellule de crise. Les frisotis de son carré blond polaire et son visage rougi m'indiquent qu'elle n'arrive pas du boulot.

Tiens donc, la workaholic qui prend un congé ?

Une petite séance de pilate, à moins qu'elle ait juste pleuré dans sa Ferrari ? Ou une entrevue avec un homme, peut-être ?

Je sens ma mâchoire se crisper malgré moi.

Qu'est-ce que je fais là ? Chez elle, alors que sa simple existence est un problème dans mon couple.

La brune me pointe toujours mais elle ferait mieux de ranger son doigt avant que je ne le lui arrache. Agacé, je réplique :

— Je n'ai rien à voir avec vos histoires. Et dans l'hypothèse où je serais partant pour vous aider, ce qui n'est pas le cas, je ne le pourrais quand même pas. Tout l'empire familial s'effondre à cause de moi, au cas où vous l'auriez oublié. Je n'ai ni argent ni contacts.

Au passage, je fusille mon frère du regard. Je n'étais déjà pas ravi qu'il ait gardé contact avec l'historienne, mais comprendre qu'ils ont orchestré ces retrouvailles forcées me rend furieux.

— Vicky..., poursuit Stéphanie. Gabin, c'est un ange tombé du ciel.

J'éclate de rire en même temps que Victoire, mais son hilarité à elle est vexante.

— Je ne dirais pas ça, non ! rétorque cette dernière en me jaugeant.

J'arque un sourcil, l'étudie sous toutes ses coutures.

— J'admets, surenchérit sa cousine. Il a de nombreuses barrières... Mais tu pourras les franchir, tu as pratiqué l'athlétisme au lycée.

Mes yeux s'écarquillent.

C'est une blague ?!

Comme si Aymeric et moi n'étions pas présents, la discussion vire au crêpage de chignons : Victoire hausse le ton. Elle semble avoir compris ce qui m'échappe encore et proteste avec véhémence :

— Une course de haies pour quoi à la fin ? Lui et moi ne sommes pas du tout compatibles ! Pourquoi en fais-tu des tonnes ?!

Mais de quoi parle-t-elle ?

— Peut-être parce que c'est ton premier mec depuis un bail !

Même si je suis tenu à l'écart d'un échange dont la lecture interligne me file la chair de poule, ça m'arrache un sourire.

Miss Parfaite est visiblement miss coincée, alors ?

— Ce n'est pas mon « mec » ! nie la blonde en un cri.

Ok, ça en devient insultant, même s'il va de soi qu'il ne se passerait clairement rien entre elle et moi.

— Au yeux de la presse, si ! Alors pourquoi ne pas sauter sur l'occasion ?! Comment tu veux faire sinon pour évincer Antoine ?

— Montrer patte blanche à Grand-père jusqu'à retourner dans ses bonnes grâces !

— C'est là où tu te trompes.

Stéphanie se lance alors dans une analogie douteuse mais qui a le mérite d'éclairer ma lanterne :

— Il y a une condition. Un mariage. Que faut-il pour un mariage ? Si tu me dis une robe, je te tape. La réponse est : un homme. Gabin est un homme.

En grands gestes, la brune hystérique me désigne.

— Pardon ?! m'étranglé-je.

— Steph', arrête, tu nous rends ridicules là !

— C'est du génie, réfute son interlocutrice.

Aymeric, coi, est assurément dans la combine. En aparté, je l'y confronte, mais toute réponse qu'il pourrait m'apporter est couverte par la voix encolérée de Victoire :

— Je ne vois pas en quoi faire un mariage blanc pour que j'accède à un poste complètement dans mes cordes est une bonne idée ! Je préfère faire mes preuves à l'amiable et parier sur une prise de conscience, ou me réorienter ! Il est hors de question que je prétende être en couple avec lui !

Pour une fois, elle et moi sommes sur la même longueur d'ondes. Qui l'eût cru, présentement, c'est ma personne préférée dans cette pièce.

— On ne vous parle pas de sortir ensemble, intervient Aymeric, mais d'un mariage. On y a bien réfléchi et ça vous servirait à tous les deux.

— Tu ferais mieux de la fermer, frangin, grogné-je.

— Gab', pense aux parents. Pense à MGA. Tu te maries, prouve au monde ton hétérosexualité, et on ne finira pas à la rue.

Je le regarde à la dérobée, comprends qu'il est on-ne-peut-plus sérieux et explose :

— Aymeric, tu t'entends parler ?!

La bijoutière arrive en soutien à mon niveau, pose sa main sur mon avant-bras et prend mon parti :

— Dites-nous que c'est une plaisanterie. Vous n'y pensez pas sérieusement.

Mes yeux rivés sur ses fins doigts enroulés à la naissance de mon coude, je réalise petit à petit l'étau dans lequel on a été conduit, elle et moi.

— Réfléchissez, avance Aymeric. Il manque un mari à Victoire afin d'obtenir la direction de Paul Cottin et il manque une preuve de stabilité pour que Gabin ait la confiance des investisseurs. Banco.

— Traître, t'as de la chance d'être en fauteuil, je t'aurais cassé les jambes.

Mais sa complice continue l'étalage de leur plan :

— Vous vous mariez, vous tenez deux, voire trois ans ensemble, le temps que Grand-père crève, et tout roule ! Il vous suffira de vous afficher ensemble, chacun pourra continuer sa vie de son côté.

Sidérés, la bijoutière et moi restons bouche bée avant qu'elle s'emporte :

— On arrête tout là ! Vous lui demandez de jouer le gigolo pour mes aspirations professionnelles et vous me demandez de jouer la couverture pour qu'il reste dans les bonnes grâces de vieux conservateurs ?! Non merci ! Quelle éthique, là-dedans ? Il a bien le droit d'aimer qui il veut, non ?!

— Exactement ! approuvé-je. Et ça dirait quoi de nous, si on se pliait à leurs règles ? Ce n'est pas comme ça qu'on fera évoluer les mentalités ! Je peux sauver MGA avec de meilleures stratégies de business. Et elle...

Je croise ses iris océan, où les vagues font rage. Elle complète ma phrase :

— Elle peut se débrouiller sans homme à son bras.

La défiance danse dans ses pupilles, c'en est presque hypnotisant. Et rassurant. On a, tous deux, été dupés par nos proches, pour une proposition indécente et inacceptable. Qu'elle s'y oppose prouve que je me suis trompé : elle a des valeurs et s'y tient. Avec une hargne que je ne lui aurais jamais devinée.

Comme si épouser une femme vierge de tout scandale pouvait suffire à embobiner le comité.