Victoire - Être une femme

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De : Fanny (commerciale P.C)

Tu m'expliques pourquoi Antoine s'installe dans ton bureau ?

Mon monde s'effondre alors que je relis le SMS reçu par l'une de mes collègues. Et d'un autre côté, je me sens soulagée, parce que la crise de mon grand-père prend tout son sens ! Rien à voir avec le colis, ou une incompétence de ma part... Je dois ça au retour de mon cousin, qui pourtant n'a même pas fait acte de présence à l'enterrement de Grand-mère.

Antoine...

Mon grand-père, après m'avoir promis davantage de parts dans l'entreprise, davantage de responsabilités... saute sur le premier homme de la famille, aussi incapable soit-il, pour me remplacer.

Parce qu'il vaut mieux un homme novice qu'une femme puissante.

Je me redresse sur mon lit, éteins mon écran, et fixe mon reflet dans le miroir de mon armoire.

Une mâchoire plus carrée, une moustache, et jamais je n'aurais été à ce point évincée. Mais... Antoine, ce tire-au-flanc ?! Vraiment ? Antoine, ce fêtard qui est arrivé au bout de ses économies et qui cherche de l'argent facile ?

Ce même Antoine qui n'en foutra pas une, avachi dans son fauteuil au bureau général ?

Je me mets doucement à sangloter. Je laisse ma tristesse s'exprimer, l'accueille pour mieux la laisser s'envoler.

Mon grand-père est depuis toujours un patron rabaissant, que je sois sa petite fille ou non. Rapidement, je n'ai eu d'autre choix que de me démener, plaçant mon travail en tête de mes priorités. Au-delà de ma vie sociale, au-delà de bon nombre de mes besoins et au-delà de ma vie amoureuse. Et puisque je rêvais d'évoluer responsable en chef, j'ai été irréprochable. Discrète et sans histoire, la vitrine parfaite pour une marque de luxe. Ces traits de caractère étant dans ma nature, seuls les horaires que je m'imposais étaient éprouvants.

Je suis d'un naturel conciliant et, professionnellement, me montre respectueuse en tout temps. Qu'on ne me dise pas que c'est faux, car ça, c'est mon moi profond. Déjà enfant, ma psychologue avait décelé une fatigue compassionnelle, un syndrome d'excès d'empathie pour lequel j'ai été longuement accompagnée.

En somme, je n'ai pas donné à mon grand-père beaucoup de raisons de douter de moi, si ce n'est aucune. Et je réalise, en observant mes joues baignées de sel, que je suis épuisée. Peut-être que la décision de mon grand-père, même si je ne la légitime en rien, me fera du bien...

Et si je levais le pied, un peu ?

Je me laisse retomber en arrière. Le crâne enfoncé dans mon oreiller, migraineuse, je reste inerte, impuissante, dévorée par la colère.

Quand ma porte s'ouvre en fracas sur une Stéphanie révoltée, un sourire soulagé se dessine sur mes lèvres.

- Tu ne devineras jamais ! Que des incompétents !

Son indignation fond comme neige au soleil au moment où elle comprend. Je fonce me blottir dans ses bras, la remerciant en boucle d'être là. La scène vue de l'extérieur doit être comique sachant que c'est elle la plus petite de nous deux. Mais je me courberais mille fois pour les câlins réconfortants de ma brune préférée.

Elle me décale, m'intime de me redresser, sort un mouchoir et vient tamponner le dessous de mes yeux.

- Tu vas tout me raconter, d'accord ? ordonne-t-elle en me poussant vers le lit à nouveau.

Assises en tailleur, on se fixe.

- Mais toi alors, qu'est-ce qu'il y a ? demandé-je en reniflant.

- Une connasse d'infirmière, mais on s'en fout ! Toi ! C'est grand-père, pas vrai ?

Pour deviner les problèmes, Stéphanie est un vrai chien truffier. Je ne joue pas le suspense et me contente de lui montrer le message.

Ses yeux s'écarquillent et sa rage se déferle à en faire trembler les murs. Je ris tout en continuant à pleurer :

- Calme, Stéph'... Ce n'est qu'un prétexte, au fond. Grand-père faiblit, qu'il l'admette ou non... et commence sérieusement à vouloir passer le relais.

- Tu parles ! Il est increvable, ouais ! Il a soixante-douze ans le bordel, les trois quarts de ses amis sont en EPHAD. Si tu savais comme je rêve du jour où je l'y déposerai ! Sans quitter ma caisse et sans daigner un regard, comme il l'a fait pour ma mère à sa cure !

Un tyran de génération en génération... sauf avec les hommes de la famille.

- Qu'est-ce que tu vas faire ?

- Aucune idée, soupiré-je.

Elle se jette en avant et se met à claquer des doigts à un centimètre de mon nez :

- Non, non, non. Réveille-toi. Un peu de dynamisme là. Trouve une idée, hop hop hop ! Ce n'est pas la Victoire que je connais, ça. Tu mérites ce poste !

- Ah, ça... J'ai bossé comme une dingue ces dernières années et je n'ai pas réussi à le lui prouver. Sa condition n'a pas changé... Il ne cèdera pas Paul Cottin® à une femme seule.

Sa piètre image du féminin, dans la sphère professionnelle, l'a mené à avoir des exigences incohérentes, quitte à évincer totalement ma mère de l'entreprise et lui reprendre ses actions à l'annonce de son divorce, quand bien même son mari, mon père, n'avait jamais pris part aux affaires familiales...

Suite à ça, elle a quitté la capitale et a rompu tout contact, m'encourageant fortement à me tenir éloignée de lui... Mais j'étais adulte, entêtée et persuadée de pouvoir faire évoluer les mentalités. Aujourd'hui, je me dis que j'aurais peut-être mieux fait de la suivre...

- Lance-toi à ton compte ! m'encourage Stéphanie. Pourquoi tu bosses pour ce couillon ? Me dis pas qu'il est trop influent ou, -pire !- que c'est pour la famille, arrête avec ta loyauté mal placée !

- Certes, consens-je, mais j'ai hérité de son nom, je ne pourrai pas travailler pour la concurrence, ou lancer ma gamme...

- Pourquoi ? Tu n'as qu'à prendre le blase de ton père.

- Celui qui a abandonné ma mère et ne m'a reconnue comme sa fille qu'après sa crise de mâle en rut, quand j'avais sept ans ? Qui n'est revenu que pour mieux repartir ? Je ne prendrai pas le nom d'un fantôme !

- Ou un nom d'emprunt..., grommelle-t-elle.

Je dodeline de la tête. Depuis que je m'investis pour l'entreprise, mon visage commence à se faire connaître. Les gens savent pertinemment à quel arbre généalogique j'appartiens... Et comment me démarquer, alors que mon style est celui que nous avons développé dans nos nouvelles collections ?

Ce même visage que Grand-père était bien heureux d'afficher en promotion. Sois belle, tais-toi. Sois mon faire-valoir, ma vitrine, mais jamais mon égale. Dieu que ça fait mal.

- Sérieux, Vicky, bats-toi pour ce qui compte. T'es tellement déterminée que le destin s'inclinera, j'en mettrais ma main à couper.

J'avais, et j'ai toujours, la passion. Le rendez-vous avec le fils De Montarby l'a confirmé. Les joyaux sont le noyau de mon existence. Mais... face à l'adversité, au doute, au dégoût que fait naître mon grand-père en moi... Le resteront-ils ?

- Réfléchissons, insiste ma confidente. Comment évincer Antoine ?

- Je ne veux pas jouer à ça. Il est là, je vais composer avec, Stéph' !

- Tu parles. Il tiendra quoi, deux semaines ?

- Oui, eh bien, nous verrons. Peut-être se montrera-t-il compétent.

- Arrête, Vicky, t'en penses pas un mot !

- C'est vrai... Je le déteste, admets-je. Mais je vais m'en tenir à ce que grand-père m'a demandé et rester à l'écart. Je ne ferai pas plus que ce qui est inscrit sur mon contrat.

Les sujets fâcheux s'éclipsent au profit des destinations que nous envisageons pour cet été. Car oui, c'est décidé, je prends des congés.

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