Gabin - Promenons dans les bois 2/2

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Je me renfrogne, quand soudain Victoire murmure :

— Maladie de Little ?

Des frissons me parcourent les bras et l'échine. Sur la défensive, j'aboie :

— De quoi vous mêlez-vous ?

— Si ma supposition est indiscrète et déplacée, pardonnez-moi. Mais puisque faire connaissance avec vous est une impasse, je m'intéresse au plus gentil de la fratrie. Vous n'êtes à aucun moment obligé de me répondre.

Le sang pulse dans mes veines. L'évocation de la maladie qui terrasse mon aîné provoque une angoisse en moi que je n'arrive jamais à canaliser. Et me fait éluder sa provocation taquine.

— Je ne voulais pas vous gêner, pardonnez-moi. À l'hôpital, j'ai côtoyé plusieurs personnes diplégiques lorsque j'y faisais du bénévolat, éclaircit-elle.

Je la regarde marcher un instant : elle n'a pas abordé ce sujet par curiosité malsaine, juste par empathie. Je souffle, me détends, mais assène :

— Du bénévolat ? Ben voyons. Et vous promenez les chiens des refuges, de temps à autre, Mère Teresa ?

— Hum... Oui, ça m'arrive.

Je rentre le menton.

Elle me fait marcher, là...

Et non... Son air est des plus assurés et sérieux. Je lève les mains en signe de reddition et ironise :

— Mes excuses, Miss Parfaite.

— Je vais prendre ça pour un compliment.

— J'imagine que vous parlez également six langues différentes, que vous allez adopter un enfant thaïlandais et que vous distribuez la soupe populaire ?

— Je vous croyais analyste financier... Pas caricaturiste. Je n'en parle que trois, pour les affaires, et pas à la perfection. Je ne pense pas avoir la fibre maternelle et je m'investis dans les œuvres caritatives surtout de loin...

— Miss Pied de la lettre, alors, plutôt ?

Elle hausse les sourcils, souffle :

— Très enfantine comme attitude, dites-donc. Que vous ai-je fait, au juste, à part croiser votre route ?

— Rien, admets-je. Enfin... Vous incarnez juste tout ce que je déteste. Ce mythe superficiel de la perfection, une héritière blindée et pleine de faux semblants.

— Vous dites ça parce que je conduis une Ferrari® ?

— Et parce que votre tenue de sport, qu'on pourrait trouver à vingt euros dans un magasin classique, doit valoir dans les mille euros. J'ai beaucoup de mal avec les riches qui ne prennent que les versions les plus chères d'un produit du quotidien.

— Hum... Dit celui qui a un chauffeur pour le moindre déplacement... N'est-ce pas un vrai privilège de riche capricieux, cela ?

C'est qu'elle a encore de la répartie en réserve...

— Je n'ai pas mon permis, figurez-vous.

— J'entends. Peut-être manquiez-vous de fonds pour le financer.

Je manque de m'étouffer avec ma salive. Son ironie est cinglante, ce coup-ci. Elle me sonde de ses iris couleur de l'océan, ralentissant son rythme.

— Ou ce confort vous convient-il, sans doute ? reprend-elle. N'est-il justement pas question de confort ? S'acheter une belle voiture, un habit de marque, un téléphone dernier cri, au-delà de sa simple fonctionnalité ? Pour des sièges plus douillets, un tissu plus noble et moins irritant, une rapidité numérique... Susciter l'envie n'étant qu'une suite logique. Vous savez... Jeune, j'avais presque honte de mon nom, de ma famille. Étudier en école privée ne m'a pas épargnée de l'hypocrisie et de la méchanceté jalouse des autres élèves. Je faisais tout pour ne pas afficher mon haut standard de vie, jusqu'au jour où j'ai compris que c'était ainsi. On ne choisit pas son patrimoine, par contre on peut accepter de composer avec.

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