Chapitre 43 : Celle qui attend

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Qu'allait-elle faire d'eux ? Cette question ne la quittait plus depuis deux semaines. Voilà qu'elle se retrouvait avec cinq enfants qui n'avaient plus rien au monde à part elle, elle qui parvenait à peine à se débattre avec ses propres déchirures. Quel devait être son rôle dans leurs vies ?

Je suis pas leur maman.

Cette phrase n'était qu'une manière de se protéger de ce qui grandissait doucement entre eux. Elle le voyait bien dans leurs yeux miroirs écarquillés que cette lueur douce et chaude commençait par l'envahir elle aussi.

Mais Wingaanel serait la dernière, elle se l'était promis. Elle n'aurait pas d'autres enfants. Elwen avait compris la leçon des Valar il y a longtemps en retournant à Hoarwell et les mots d'une oubliée résonnaient encore en elle alors qu'elle posait les yeux sur ces têtes des petits êtres qui se poursuivaient en riant au milieu du ruisseau où elle leur avait dit de se laver.

Les Valar t'ont donné un fils pour que tu connaisses ce qu'est le véritable et grand amour. Ils te l'ont pris pour que tu connaisses la plus grande douleur qui soit, celle que tu n'oublieras jamais et qui hantera chacun de tes gestes.

En entendant leurs glapissements de rires mouillés, cette douleur se réveillait, flottant autour d'elle comme une terrible menace, lui susurrant qu'elle devait se rappeler sans cesse de ne pas trop s'attacher à eux, de se protéger de cet amour qu'elle sentait revenir à la charge pour tout arracher encore une fois.

Elwen connaissait trop la douleur de la perte pour s'autoriser d'en souffrir encore une fois. Elle n'avait plus la force d'avoir cette résilience, aujourd'hui, elle n'était que faiblesse.

Avec les jours, elle avait eu le temps de mieux cerner ces gamins. Aldegas était le plus sensible, à la moindre pensée, ses yeux se voilaient et il fondait en larmes. Elwen se penchait alors vers le sol pour en ramasser les morceaux, lui soufflant des paroles en « langue des fées » qui avaient le don de sécher ses pleurs en quelques heures. Il était étreint d'une tristesse touchante et lancinante. Elwen imaginait très bien les images qui traversaient son esprit sans prévenir, imprimant sur sa rétine des instants qu'il aurait préféré oublier.

« Ne cède pas à l'oubli, lui répétait pourtant Elwen. L'oubli paraît simple et attrayant mais c'est le pire des pièges. Ce serait comme couvrir une horrible blessure d'un joli pansement et la laisser pourrir lentement jusqu'à l'oublier. Le pansement finira par se fondre totalement dans ta peau et jamais tu ne seras en mesure de te rappeler qu'il y a dessous quelque chose à soigner. Et tu sais ce qui se passera ?

- Lorsque je me souviendrai du pansement, il sera trop tard. La blessure sera sur le point de m'emporter. »

Quelles phrases terribles à prononcer devant un enfant endeuillé, mais Elwen ne voulait pas voir se dessiner chez eux les mêmes erreurs qui lui coûtait tant à présent. Meno le consolait souvent quand Aldegas n'avait pas la force d'entendre les mots si durs de l'elfe. Ils se cachaient derrière une souche ou un muret pour pleurer ensemble et se pardonner l'un l'autre de cette faiblesse.

Mais Meno était moins triste, cela faisait des semaines qu'il ne pleurait plus. Il était celui qui faisait rire aux éclats les quatre autres. Elwen avait deviné rapidement qu'il devait être le plus jeune d'entre eux, il portait encore les rondeurs de l'enfance et ses joues pleines étaient si attendrissantes qu'elle s'était surprise à le prendre dans ses bras sans raison. Il parlait beaucoup, de tout et n'importe quoi, on aurait dit que ses pensées étaient si fortes qu'il était obligé de les dire à voix haute. Cela avait le don d'énerver Lubart, le grincheux et la tête brûlée de la troupe.

Avec son air buté, il faisait sourire de manière incontrôlable Elwen. Il semblait toujours ronchon et ne faisait rien pour le cacher. Pourtant, dès qu'ils étaient en public, il se transformait en petit garçon modèle, menant le groupe comme un jeune homme assuré, s'attirant des regards surpris. Un marchand avait même proposé à l'elfe de prendre le garçon comme apprenti alors qu'ils faisaient halte dans une grande ville. Elwen s'était empressée de refuser, ne connaissant que trop bien ce que signifiait le rôle d'apprenti dans ce genre de milieu. Lubart ne lui avait pas parlé pendant trois jours quand il avait appris son refus catégorique.

La fille qui n'avait plus d'espoir | Tome 2 : Celle qui hanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant