Chapitre 62 : Ceux qui rugissent

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« Muirgen ne rentrera pas. » lâcha Elwen.

Il y eut un grand silence dans la pièce puis Laya et Meno se mirent à hurler. Glaçants, les cris figèrent la pièce entière. L'elfe sentit son estomac se retourner et son épiderme saisi d'un frisson terrible. Lubart lui agrippa le bras, le visage déformé par la douleur.

« C'est FAUX ! C'EST FAUX ! Hurlait-il. Ce n'est PAS VRAI ! »

Et ses mots finissaient toujours en râles déchirants. Elwen observait ces enfants détruits comme si elle ne faisait pas partie de la scène. C'était un de ces moments où le monde se tait, où on oublie qu'il existe une réalité en dehors de cette chambre scindée par une blessure pulsante. Cela lui semblait si étrange d'assister au déchirement de leurs vies si jeunes. Leur première tragédie. Soyez forts, parce qu'il en viendra d'autres, avait-elle envie de lui murmurer en les serrant fort dans ses bras. Au milieu des cris et des gémissements, le nom de la grande absente flottait, suspendu dans l'air par ces esprits anéantis.

Aujourd'hui, ils perdaient une sœur. Leur fratrie porterait à jamais un nom comme grande blessure et Muirgen serait ce silence qui transperce tout et qui se sait en un regard.

Elwen revint brusquement à la réalité quand la porte claqua. Lubart venait de s'enfuir. Alors que Legolas s'apprêtait à se lancer à sa poursuite, elle l'arrêta d'un geste. Les mots d'Elrond tournaient en boucle dans son esprit. Tu ne peuples peut-être plus l'enfer que tu pensais avoir érigé, mais tu es celle qui le traverse sans broncher pour saisir à bras le corps ceux qui s'y laissent tomber. Elle les coursait dans les ténèbres sans craindre que les ombres ne se saisissent d'elle. Être de la même nature que les démons lui octroyait un passe-droit, ils la regardaient passer sans s'en étonner, sans savoir que, sous les traits de leur alliée, elle était leur principal ennemi. Elle était l'éternelle sacrifiée au nom des autres, par cent fois elle mourrait pour voir vivre ses protégés. Et cela commençait par les êtres qui avaient le plus besoin d'elle, ses enfants.

Lubart courrait à perdre haleine dans les rues, dérapant sur les tas d'ordures pour reprendre sa course effrénée. L'elfe mit plusieurs minutes à comprendre qu'il se rendait à la taverne où il l'avait surprise.

« Lubart ! L'appela-t-elle, le talonnant de quelques dizaines de mètres.

- Vous allez la laisser crever, vous êtes des monstres ! Pleurait le garçon. Moi je ne la laisserai pas ! »

A ses mots, les bras d'Elwen se refermèrent enfin autour de lui. Elle l'avait attrapé dans un élan prodigieux et beau, saisi au vol avant qu'il ne se perde, retenu par les serres de celle qui sauverait le monde. Comme enfermé dans cette étreinte, il en eut le souffle coupé. Il ouvrait grand les yeux, estomaqué par ce soudain contact. Elwen ne les prenait jamais dans ses bras, ne les embrassait que pour les embarrasser. Alors, ces bras regroupés autour de lui comme un cocon, ils étaient peut-être le signe, la confirmation que ce qui était en train de se passer était grave. Il se mit à sangloter furieusement. Il ne voulait pas de ce drame dans sa vie, il ne voulait pas dire au revoir encore une fois. Il était tellement en colère.

« O-On ne peut p-pas la lais-laisser, gémit Lubart, la morve engluant ses mots. On ne va pas a-abandonner M-Muirgen !

- J'ai parlé à Muirgen. C'est elle qui demande qu'on quitte la ville. Elle veut qu'on lui fasse confiance et je vais l'écouter.

- Mais ça ... ça ne te ressemble tellement pas de ne pas te battre ! »

Il avait beuglé ces derniers mots, comme si c'était contre elle qu'il était en colère. Il en voulait en réalité au monde entier. En voyant cette colère germer, cette haine croître si vite, Elwen se promit de ne pas commettre d'erreur et de l'en protéger dès que possible. D'une main à l'arrière de son crâne, elle les enferma encore un peu à l'écart du monde. Sous ses doigts, il tremblait. Elle voulait tellement le préserver juste quelques instants de plus de la fournaise qui s'abattait sur lui. Elle sentait les élans de violence émaner de lui, pulsant sous ses doigts à mesure qu'elle lui caressait l'omoplate.

La fille qui n'avait plus d'espoir | Tome 2 : Celle qui hanteحيث تعيش القصص. اكتشف الآن