Wenneveria.

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Arthur s'éveille brusquement. Son regard accroche le mien. Ses yeux bleus luisent un instant avant de retrouver leur éclat naturel. Il tente de se redresser. Je l'oblige à se recoucher en appuyant des deux mains sur son torse.

— Reste tranquille, bon sang !

Tristan ferme les paupières et inspire un grand coup.

— T'es complètement cintré, mec, gronde-t-il. Mais t'as assuré. Rien à dire. Une bête de combat.

Arthur tape le poing tendu de Tristan dans un check arrogant. Je le fusille du regard. Il baisse les yeux et rougit lorsqu'il se rend compte que nous avons dû le déshabiller pour le soigner.

Sleipnir hennit de joie à son tour en piétinant le sol.

— Yo gazier ! Si Maître Dorcanie avait assisté à ton combat ! J'en connais dans la mesnie qui en aurait fait une jaunisse. Sans déc, Yvain en aurait avalé son slip.

Nous éclatons de rire. L'image a quelque chose de plaisant, je dois le reconnaître.

— Nous devons nous cacher. Les Bayart sont à deux minutes du camp et si on veut avoir une chance de retrouver Astrid il va falloir les suivre.

— Comment est-ce que...

— L'albinos a parlé, l'interrompt Tristan. Les cavaliers n'ont pas eu confiance en Dinabius. Ils ont emmené Astrid dès qu'ils l'ont rattrapée.

— Qu'est-ce qu'on attend alors ? demande Arthur en se redressant.

— C'est-à-dire que...

— Quoi ?

— Ben... La massue de l'Aes Sidhe, expliqué-je, c'est un trophée de guerre. Mais on ne peut pas l'amener. C'est à toi de décider quoi en faire.

Arthur fronce les sourcils en réfléchissant. Il fixe l'engin qui git, tel un gros hérisson maléfique.

— Qu'est-ce que tu entends par « trophée de guerre » ?

Je me lève et époussette mon pantalon.

— C'est une prise d'armes. À ce titre, tu as le droit de l'exposer pour avertir tes ennemis de ta force, ou simplement manifester auprès des tiens ta victoire et ta puissance.

Arthur baisse les yeux, pensif.

— Tu dois l'expédier au camp de Petit Camelot, affirmé-je.

— Bonne idée, enchaîne Tristan. Ça sera un message à l'attention de tous.

Arthur hausse un sourcil avant d'esquisser un sourire carnassier.

— Je vois où vous voulez en venir. En agissant ainsi, j'envoie un avertissement très clair. Primo : nous prévenons tout le monde que nous sommes toujours en vie, et secundo : que nous sommes armés, dangereux et prêts à aller jusqu'au bout de notre aventure. Quoiqu'il nous en coûte.

— Yo les amis, faut bouger, les Bayart arrivent.

Sleipnir et son sens de l'à-propos légendaire.

Arthur se lève, et se dirige droit vers l'albinos ligoté et bâillonné au pied de la massue. Il le fixe. Blanc-Manger n'en mène pas large et se tortille sous son regard scrutateur. Il a peur. Je constate, non sans stupeur, que cette terreur, c'est lui, Arthur, simple adolescent rebelle en fuite, qui la lui inspire. Arthur affiche son irritation. Il n'a jamais voulu de ce pouvoir-là. Ni avant ni maintenant. Cela ne l'empêche pourtant pas de l'utiliser quand cela s'avère nécessaire.

Il détache le bâillon du cuisinier.

— Si je te pose une question, me répondras-tu honnêtement ?

— Oui, mais je t'en prie, ne me fais pas de mal Seigneur.

— Ce n'est pas mon intention. Du moins... pour l'instant. Pourquoi servais-tu Dinabius ?

— Parce que je n'avais pas le choix. J'aurais fini dans ma propre poêle, sinon.

Arthur n'hésite plus. Il détache Blanc-Manger qui se frotte les poignets pour faire circuler le sang.

— Monsieur M. ? lance-t-il brusquement vers le ciel. Un petit coup de main ne serait pas de refus.

Tristan le dévisage, perplexe.

— Tu crois faire quoi au juste, mec ? Un nouveau concept d'appel sans fil et sans matos tout court ? Et tu penses qu'il va te capter ? Sérieux ?

— Fais-moi confiance, il nous entend. Monsieur M. ? crie-t-il de plus belle. On est un peu pressé par le temps, là !

L'air se met à crépiter autour de nous. Le visage de l'enchanteur apparaît dans une espèce de vortex qui flotte dans le vide.

— Alors comment se passe cette petite escapade ?

Je manque m'étouffer.

Petite escapade?

Arthur se renfrogne, guère amusé par la plaisanterie.

— Pouvez-vous amener cet homme et cet objet jusqu'à Petit Camelot ? demande-t-il en désignant d'un geste Blanc-Manger et la massue.

Merlin penche la tête pour regarder. Le vortex se brouille et crépite de plus belle.

— Hum. Oui, c'est possible. Mais je tiens à préciser que je ne suis pas taxi à l'origine.

Arthur hausse les épaules.

— Peut-être, mais vous nous devez bien ça.

M. fronce les sourcils.

— Qu'est-ce qu'il se passe ?

Arthur reste muet. Tristan et moi faisons bloc derrière lui, bras croisés tandis qu'il vrille ses yeux dans ceux de l'enchanteur.

Personne ne cille.

— Rien, réplique-t-il au bout d'une minute entière. Il ne se passe rien. Alors, vous pouvez les embarquer, oui ou non ?

— Le Seigneur Listenois et Morgane n'apprécieront pas. Déjà qu'ils sont nombreux à te trouver effronté et incontrôlable...

Arthur sourit.

— Mais je suis effronté et incontrôlable, confirme-t-il en dissipant d'un geste de la main le vortex pour couper la communication sur ces derniers mots.

Deux secondes plus tard, Blanc-Manger et la massue disparaissent, nous laissant à peine quelques secondes pour déguerpir et nous planquer.

Les Bayart débarquent dans un nuage de poussière et un concert de cliquètement des longues épines de leurs crinières. Les écailles noires luisent au soleil de façon menaçante.

Le meneur du groupe, plutôt fluet par rapport aux autres opère un tour complet. Il observe le camp ravagé par la bataille. D'une pression des genoux, il intime à sa monture de grimper jusqu'à la grotte et en revient quelques secondes plus tard au galop.

Tapis dans un fossé, nous tentons de nous faire les plus petits et discrets possibles. Les Bayart, vu de près sont vraiment déconcertants. Oui, ils sont hideux mais ils sont aussi magnifiques de puissance et de dangerosité. Je m'explique mieux pourquoi on dit que le mal est attirant.

Le meneur des cavaliers s'arrêtent près de ses congénères. Il prononce quelques mots dans une langue que nous ne connaissons pas. Arthur fronce les sourcils en me dévisageant l'air de demander : « t'y comprends quelque chose, toi ? ».

Je secoue la tête négativement tout aussi larguée que lui. De nombreux dialectes anciens sont utilisés à Brocéliande et dans les mondes perdus en général. Le seul qui les parle toutes et le seigneur du Fief des Grimoires. On l'appelle le dépositaire des connaissances. C'est l'archiviste de notre univers. Et j'ai le regret de préciser que je ne possède pas ses talents.

Les mondes perdus de Brocéliande (Terminée, en cours de réécriture )Donde viven las historias. Descúbrelo ahora