III. Les conséquences d'un ordre ignoré

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Le quartier avait entamé ses activités quotidiennes il y avait à peine une heure. Au milieu de ce début de fourmillement, Ian courrait jusqu'à chez lui. Les enfants jouaient déjà, penchés sur le sol. Les préparatifs pour fêter leur huitième anniversaire étaient déjà lancés.

— Arran, Sybil! Réaction !

Les deux enfants se redressèrent. L'ordre donné était clair. Rapidement ils éparpillèrent leurs billes de terre et se tinrent prêts à réagir en conséquence à la prochaine parole prononcée par leur tuteur. Jamais ils n'avaient vu leur père aussi agité. Lui qui leur avait toujours semblé si calme malgré ses remontrances. Ce qui leur semblait plus tôt un simple exercice pris une autre dimension. Il dégagea rapidement la porte cachée de leur cour, observa les alentours, vit un uniforme. Il devait trouver une cachette pour les enfants. Il s'était préparé à ce jour depuis qu'il avait pris leur responsabilité mais malgré ses préparations, ses enfants ne l'étaient pas. Il les tira avec lui à l'intérieur de leur maison, se dirigea dans sa chambre. Il ouvrit son armoire, enleva le double fond, analysa l'espace. Celui-ci n'était pas assez grand pour les plus jeunes. Il poussa le jeune garçon à l'intérieur et le regarda bien dans les yeux.

— Arran, souviens-toi, quoiqu'il en coûte, tu dois vivre. Qu'importe si tout le monde autour de toi meurs. Tu dois vivre.

L'homme referma la cache, remis les vêtements pêle-mêle, ferma l'armoire. Il regarda ensuite la fillette. Il l'avait élevée pendant huit années environ, elle-aussi. Elle était frêle, elle pourrait se cacher. L'homme se pencha vers elle, la regardant à son tour dans les yeux.

— Sybil, va te cacher entre les poutres. Dans ce petit espace là où toi seule peut te glisser. Va, et ne sors que lorsque le vieux Gery ou la Eryn viendra te chercher. Pas avant.

L'enfant regarda l'homme qui avait été son père. Bien que jeune, elle sentait qu'il lui offrait un traitement différent que celui d'Arran. Elle avait cru un instant qu'il la laisserait à elle-même face au danger qui se présentait. Mais ce qu'elle voyait désormais dans son regard, cette petite lueur paternelle la convainquit que malgré tout, il l'aimait elle aussi. Sybil couru vers l'endroit alors que l'adulte se levait lentement et sortait de sa maison. À peine s'avançait-il dans sa cour que la porte s'ouvrît avec fracas.

— Où est l'enfant?

— Quel enfant?

— Fouillez la maison! Tu peux encore avoir la vie sauve si tu le livre.

— Depuis quand ta garde laisse la vie sauve dès lors qu'elle se trouve sur ton lieu d'intervention Risen?

— C'était la tienne avant Ian. Où est-il?

— Je ne vois pas de quel « il » tu parles. Je suis seul et je vis seul.

— Un garçon a été vu plusieurs fois jouant dans ta cour. Ne nous raconte pas de sornettes.

— Si tu avais bien enquêté, tu aurais su qu'il y avait aussi une petite fille. Ce sont des enfants du quartier qui me sortent un peu de ma vieillesse.

— Et où sont-ils maintenant ces enfants du quartier?

— Assurément, ils ne sont pas ici.

Arran entendait de sa cache le bruit assourdissant des meubles renversés, des objets balancés d'un bout à l'autre d'une pièce. Il entendait qu'on vidait l'armoire, scellée dans le mur, de son contenu. Puis, les bruits de pas s'estompèrent et se regroupèrent dans la cour.

— Rien n'a été trouvé commandant!

— Où sont-ils ?

— Je l'ignore.

Le garçonnet n'entendît plus rien ensuite. Cependant, il commença à sentir une odeur de brûlé de plus en plus présente alors que la cour redevenait silencieuse, se vidant de ses occupants. L'enfant comprit peu à peu que cette odeur ne faisait pas qu'embaumer son domicile. Que faisait son père pour qu'il ne vienne pas le sortir de là ? L'enfant tenta de toutes ses force de pousser l'entrée de sa cachette. En vain, le bois était bien trop épais pour lui.

— Arran ! Sybil! Entendit-il soudain. Où êtes vous?

— Eryn! Répondit l'enfant reconnaissant la voix, Eryn! Je suis là! Dans la chambre!

— Tu es avec Sybil?

— Elle est dans la réserve!

La femme poussa un cri étouffé. La réserve commençait à brûler. Elle devait se dépêcher. Vite, elle entra dans la chambre de Ian, suivit les tapes du garçon sur le bois, trouva le levier non sans protester sur le manque de considération du maître des lieux envers sa musculature. Elle ouvrit la cache, ordonna à l'enfant de sortir de la maison avant de courir vers la réserve. Elle trouva la trappe ouverte, y entra, ayant peur de ce qu'elle pourrait y trouver.

— Sybil, où es-tu?

— Ici, lui répondit la voix fluette de l'enfant.

La femme leva les yeux pour trouver la fillette dans un renfoncement. Encore, elle ne la trouva que parce que celle-ci sortait la moitié de son petit corps.
La plus âgée tendit ses bras, prête à la recevoir. Elle la poussa ensuite à courir dans l'escalier, la prit dans ses bras alors que les flammes envahissaient déjà la pièce. Dans la cour, elle retrouva Arran devant le corps de son père. Elle bloqua la vue de Sybil.

— Arran, ne reste pas là.

L'enfant leva son regard mouillé vers elle. Il ne comprenait pas.

— Eryn... que se passe-t-il?

— Partons, Arran.

— Où est papa, demanda Sybil qui ne voyait rien.

— Il a dut partir.

Arran ne dit rien. Il ne le pouvait pas. Suivant Eryn, il sortit de la cour. Il entendit un cri d'alarme alors qu'autour de lui des gens accourraient avec des seaux d'eau. L'adulte les mena à sa maison. Ils n'avaient prononcé aucun mot. La maîtresse de maison leur prépara une collation.

— Eryn, je ne comprends pas.

— Il n'y a rien à comprendre Arran. Ian est mort. Tu dois continuer à vivre. Toi aussi Sybil.

— Papa est mort, releva la fillette.

— Désormais, Gery et moi nous occuperons de vous.

Les enfants ne dirent rien. Ils n'avaient toujours connu que l'ancien soldat. La vieille femme tenta ensuite de leur remonter le moral, comme s'il ne s'était rien passé. Le soir venu, Gery retourna dans son logis et y trouva les enfants.

— Alors il y avait bien quelque chose, constata-t-il pour lui-même.

Il ne dit rien de plus. Il ne savait pas quoi dire. Il n'avait jamais su comment faire face à ces situations. En revanche, il savait boire. Eryn le regarda faire sans rien dire. Il voulait oublier. Ça, comme le reste. Elle coucha les enfants sur une paillasse de fortune dans leur chambre.

— Gery, tu videras ta réserve de tout ce qui nous encombre. Ne bois plus chez nous, je vais avoir besoin de toi pour les élever tous les deux.

Arran : entre Vengeance et DevoirWhere stories live. Discover now